Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
967
REVUE. — CHRONIQUE.

luttes des divinités-mères du cycle d’Uranus, n’a pas présenté de mythe plus sombre. Revenons aux conceptions plus claires de la Bible, qui s’adoucissent encore et s’humanisent dans le Coran.

Moïse établissait que l’impureté de la femme qui met au jour une fille et apporte au monde une nouvelle cause de péché doit être plus longue que celle de la mère d’un enfant mâle. Le Talmud excluait les femmes des cérémonies religieuses et leur défendait l’entrée du temple. Mahomet, au contraire, déclare que la femme est la gloire de l’homme ; il lui permet l’entrée des mosquées et lui donne pour modèles Asia, femme de Pharaon, Marie, mère de Jésus, et sa fille Fatime. Que croire maintenant du préjugé européen qui présente les musulmans comme ne croyant pas à l’ame des femmes ? Il est un autre préjugé, plus répandu encore, qui consiste à croire que les Turcs rêvent un ciel peuplé de houris, toujours jeunes et toujours nouvelles : c’est une erreur ; les houris seront simplement leurs épouses rajeunies et transfigurées, car Mahomet prie le Seigneur d’ouvrir l’Éden aux vrais croyans, ainsi qu’à leurs parens, à leurs épouses et à leurs enfans, qui auront pratiqué la vertu : « Entrez dans le paradis, s’écrie-t-il ; vous et vos compagnes, réjouissez-vous ! » Après de telles citations et bien d’autres, on se demande d’où est né le préjugé si commun encore parmi nous, Il faut peut-être n’en pas chercher d’autre motif que celui qu’indique un de nos vieux auteurs. « Cette tradition fut fondée sur une plaisanterie de Mahomet à une vieille femme qui se plaignait à lui de son sort sur le sujet du paradis ; car il lui dit que les vieilles femmes n’y entreraient pas, et, sur ce qu’il la voyait inconsolable, il ajouta que toutes les vieilles seraient rajeunies avant d’y entrer. »

Du reste, si Mahomet, comme saint Paul, accorde à l’homme une autorité sur la femme, il a soin de faire remarquer que c’est en ce sens qu’il est forcé de la nourrir et de lui constituer un douaire. Au contraire, l’Européen exige une dot de la femme qu’il épouse. Quant aux femmes veuves ou libres à un titre quelconque, elles ont les mômes droits que les hommes ; elles peuvent acquérir, vendre, hériter ; il est vrai que l’héritage d’une fille n’est que le tiers de celui du fils„ mais, avant Mahomet, les biens du père étaient partagés entre les seuls enfans capables de porter les armes. Les principes de l’islamisme s’opposent si peu même à la domination de la femme, que l’on peut citer dans l’histoire des Sarrasins un grand nombre de sultanes souveraines absolues, sans parler de la domination réelle qu’exercent du fond du sérail les sultanes mères et les favorites. De notre temps encore, les Arabes du Liban avaient conféré une sorte de souveraineté honorifique à la célèbre lady Stanhope.

Toutes les femmes européennes qui ont pénétré dans les harems s’accordent à vanter le bonheur des femmes musulmanes : « Je suis persuadée, dit lady Montague, que les femmes seules sont libres en Turquie. » Elle plaint même un peu le sort des maris, forcés, en général, pour cacher une infidélité, de prendre plus de précautions encore que chez nous. Ce dernier point n’est exact peut-être qu’à l’égard des Turcs qui ont épousé une femme de grande famille. Lady Montagne remarque très justement que la polygamie, tolérée seulement par Mahomet, est beaucoup plus rare qu’en Europe, où elle existe sous d’autres noms. Il faut donc renoncer tout-à-fait à l’idée de ces harems dépeints par l’auteur des Lettres persanes, où les femmes, n’ayant jamais vu d’hommes, étaient bien forcées de trouver aimable le terrible et galant Usbek. Tous les voyageurs ont rencontré