Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et cent urnes sont là pleines de lingots d’or ;
Ils ont offert encor la laine deux fois teinte,
L’or et l’argent frappés du roi portant l’empreinte,
Des tigres et des lynxs les manteaux tachetés,
Les plumages d’autruche en Libye achetés,
Les coffres de santal, les robes d’écarlate,
Les perles en colliers dans les coupes d’agate.
Puis viennent, tout sellés, sur le marbre piaffans,
Les chevaux du désert, domptés par des enfans,
Et si prompts que leur vol, sur l’océan des sables,
Devance du simoun les pieds insaisissables ;
Puis, d’un pas cadencé, les chameaux au long cou
Aux mains des chameliers balançant leur licou
Sous un fardeau d’ivoire et d’huiles et de gommes ;
Puis les lourds éléphans, ces rochers chargés d’hommes,
Qui, s’émouvant au bruit des trompes, des tambours,
Porteront au combat les guerriers dans les tours,
Quand le roi, pour servir sa gloire ou sa justice,
S’étant levé, ceindra son glaive sur sa cuisse ;
Enfin, tribut charmant, et que d’un cœur jaloux
La reine en son palais recevra de l’époux,
Cent filles du Niger, belles au sein d’ébène,
Esclaves dont peut-être une un jour sera reine,
Qui, d’un rouge collier fière, darde en passant
D’un œil sauvage et doux le sourire innocent.

Car la terre est au roi ! les plaines et les ondes
Épuisent sous sa main leurs entrailles fécondes.
Aux voluptés du roi tout doit paver tribut ;
Toute vie a sa joie ou son orgueil pour but.
Pour enrichir le roi, la mine ténébreuse
Livre l’or et l’airain au bras vil qui la creuse ;
La mer jette à ses pieds la perle et le corail ;
Pour ses chars, des chevaux s’élargit le poitrail ;
Des étoiles du ciel buvant les pleurs nocturnes,
L’aloès et le nard fleurissent pour ses urnes.
Le raisin d’Engaddi n’embaume les pressoirs
Que pour verser au roi son ivresse des soirs ;
Pour lui seul, pour peupler ses tours et ses galères,
Le rude enfantement ouvre les flancs des mères,
Et des vierges, pour lui, mûrissant les couleurs,
L’été d’un fin duvet dore leur joue en fleurs.