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Après cette entrée en matière, nous rencontrons Luther et Calvin, Rabelais et Montaigne, le cardinal de Richelieu, Louis XIV, le cardinal Dubois, Law, Voltaire, Mme de Pompadour, Montesquieu, Mably et Turgot : telle est la galerie par laquelle l’écrivain nous mène du commencement du XVe siècle à la fin du XVIIIe. Nous y avons trouvé des faits politiques peu nombreux et vulgarisés depuis long-temps, quelques aperçus littéraires semés çà et là d’une manière ingénieuse, beaucoup de déclamations, des généralités ambitieuses et fausses, au milieu de tout cela du mouvement, parfois de l’éclat, partout les allures d’une rhétorique chaleureuse.

La principale cause des déviations de l’écrivain est le dogmatisme superficiel et erroné avec lequel il s’imagine expliquer tous les faits. Trois grands principes se partagent le monde : l’autorité, l’individualisme, la fraternité. M. Louis Blanc n’a pas d’autre philosophie de l’histoire. Il nous montre l’autorité maniée par le catholicisme et prévalant jusqu’à Luther, qui inaugure l’individualisme. Depuis la réforme protestante, l’individualisme s’est développé avec une force irrésistible ; il a triomphé par les publicistes de la constituante, et il règne aujourd’hui. La fraternité, ici nous citerons textuellement, annoncée par les penseurs de la montagne, disparut alors dans une tempête, et ne nous apparaît aujourd’hui encore que dans le lointain de l’idéal ; mais tous les grands cœurs l’appellent, et déjà elle occupe et illumine la plus haute sphère des intelligences. Il est fâcheux que M. Louis Blanc n’ait pas songé à nous indiquer le rôle qu’ont joué ces trois principes dans les temps antérieurs au catholicisme : nous eussions été curieux de voir l’application de ces formules à toute l’histoire antique, aux théocraties et aux monarchies de l’Orient, aux aristocraties et aux démocraties de la Grèce, à l’ancienne Rome. M. Louis Blanc se renferme dans l’histoire moderne, qu’il divise avec une simplicité merveilleuse, le passé, le présent et l’avenir. Le passé a été soumis au principe de l’autorité, dans le présent l’individualisme domine, et l’avenir appartient à la fraternité. Cela est court et ne charge pas la mémoire ; mais cette classification est-elle aussi satisfaisante que facile à retenir ?

À chaque moment de l’histoire, tous les principes constitutifs de l’humanité concourent à la vie sociale : leur développement peut être inégal, mais il est simultané. Est-ce que par hasard, lorsque le christianisme et le catholicisme s’établirent, ils ne durent pas leur avènement et leur puissance aux progrès de l’individualité et de cet esprit de charité fraternelle que Cicéron avait depuis long-temps appelé caritas generis humani ? Cependant M. Louis Blanc ne voit dans cette époque que le triomphe exclusif du principe de l’autorité. C’est déjà une première erreur ; mais en voici de plus graves. S’il faut en croire cet écrivain, le principe d’autorité est celui qui fait reposer la vie des nations sur des croyances aveuglément acceptées, sur le respect superstitieux de la