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plus illustres membres, gens de lettres ou avocats… » Au moment où la constituante discute les questions du veto absolu et du veto suspensif, M. Michelet va jusqu’à dire : « On eût pu croire que l’assemblée ne s’était point aperçue qu’il y eût une révolution. La plupart des discours auraient servi aussi bien pour un autre siècle, un autre peuple… Cette assemblée était mûre pour la dissolution. Née avant la grande révolution qui venait de s’opérer, elle était profondément hétérogène, inorganique, comme le chaos de l’ancien régime d’où elle sortit. Malgré le nom d’assemblée nationale dont la baptisa Sieyès, elle restait féodale… » Or, c’est après la nuit du 4 août que l’assemblée constituante est accusée d’être féodale par M. Michelet, et c’est après cinq mois d’existence que, s’il faut l’en croire, elle eût mérité d’être dissoute. En effet, la discussion sur la balance des trois pouvoirs s’ouvrit le 30 août ; elle se termina, le 11 septembre, par l’adoption du veto suspensif. Affirmer que, dans l’intérêt de la liberté, il n’y avait alors, à cette époque, d’autre remède aux difficultés de la situation que la dissolution de la constituante, assurément voilà une idée neuve. Personne ne l’eut alors, remarque naïvement M. Michelet. Nous le croyons sans peine. La cause de la liberté était identifiée avec l’autorité de la constituante, et tout acte qui eût frappé celle-ci eût été une coupable folie, même aux yeux des révolutionnaires les plus exaltés.

Si, aux yeux de M. Michelet, l’assemblée constituante a si mal servi la révolution, quels sont donc les hommes qui l’ont servie ? Personne et tout le monde. En d’autres termes, suivant M. Michelet, il n’y a eu qu’un grand acteur, c’est le peuple. « Plus j’ai creusé, dit-il, plus j’ai trouvé que le meilleur était dessous, dans les profondeurs obscures. » M. Michelet fait une guerre acharnée à la grandeur individuelle, au profit des masses. L’apothéose de la multitude compose aujourd’hui toute sa philosophie politique. Ceux que nous avions pris jusqu’à présent pour des grands hommes sont d’ambitieuses marionnettes que l’écrivain a dû ramener à leurs proportions. M. Michelet prend en pitié Mirabeau. Rien, à l’entendre, n’a été prévu ni préparé par les chefs de parti. Le peuple a tout fait, et il a toujours raison. Quand les paysans brûlent les châteaux, M. Michelet nous explique que la prise de la Bastille les avait encouragés à attaquer leurs bastilles, et il s’écrie : « Que vous avez tardé, grand jour ! Combien de temps nos pères vous ont attendu et rêvé !… J’ai vécu pour vous raconter ! » Jamais l’enthousiasme n’a plus égaré un écrivain, en dépit de l’honnêteté de son cœur.

Pour expliquer ces aberrations étranges, il faut se remettre en mémoire comment M. Michelet, en interrompant des travaux qui semblaient jusque-là être le but de sa vie, est arrivé à l’histoire de la révolution française. Il y est arrivé par le pamphlet. Il avait écrit un petit livre sur le prêtre, la femme et la famille ; il en avait composé un autre sur le peuple. De pareils sujets, la manière de l’auteur, l’imprévu de