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formant pour ainsi dire le nœud de la révolution française, sont tranchées du même coup que les destinées de leur pays. » C’est par cette phrase que M. de Lamartine a commencé le premier livre de son histoire. Arma virumque cano. Ou ces lignes n’ont point de sens, ou l’intention de l’écrivain qui les a tracées a été de signaler au lecteur les girondins comme les véritables représentans de la révolution, comme les hommes qui l’avaient le mieux comprise et servie. Dans la première partie de son ouvrage, M. de Lamartine semble fidèle à cette pensée. Après la proclamation de la république par la convention, au moment où Roland était ministre de l’intérieur, M. de Lamartine nous dit : « Les girondins avaient pour eux la raison, l’éloquence, la majorité dans l’assemblée[1]. » Qui nous expliquera comment, à partir de cet endroit de son livre, M. de Lamartine change de point de vue et de langage comme dans quelques-uns de ses harmonieux discours de tribune, où il n’est pas rare que la dernière partie contredise la première ? Quelles idées ont traversé son esprit ? Nous l’ignorons, mais, en tournant quelques pages, nous lisons : « Les girondins n’étaient que des démocrates de circonstance. Robespierre et les montagnards étaient des démocrates de principe[2]. » Et ailleurs, à l’époque de l’immolation de Mme Roland sur l’échafaud révolutionnaire, M. de Lamartine s’exprime ainsi : « Les girondins étaient enchaînés à son rayonnement. Parti d’imagination, ils avaient leur oracle dans l’imagination d’une femme[3]. » Pauvres girondins ! ne voilà-t-il pas leur historien qui, lui aussi, les exécute, et qui, après nous les avoir présentés comme les vrais modèles du républicanisme, ne voit plus en eux que des démocrates de circonstance et des hommes d’imagination !

C’est que, chemin faisant, M. de Lamartine a changé de héros. Des girondins il a passé aux jacobins. Les girondins l’avaient d’abord séduit par leur éloquence, par l’éclat de leur talent et de leur fin tragique, mais, dès qu’il y regarda d’un peu plus près, il dut reconnaître combien il s’était trompé en prenant ce parti pour le centre et le nœud du drame révolutionnaire. Les girondins, entre la constituante et la convention, n’ont rien commencé ni rien fondé : par leurs nobles qualités, par leur jeunesse, ils ornent un moment la révolution plus qu’ils ne la servent. Pour le fond des choses, c’est un parti transitoire et impuissant. Dès que M. de Lamartine s’en fut convaincu, nous le voyons, par d’autres préoccupations non moins exclusives, faire à leur tour des jacobins les véritables représentans de la révolution. À ses yeux, Robespierre en est le philosophe. « Il y a un dessein dans sa vie, dit à la fin de son huitième volume[4] M. de Lamartine, et ce dessein est grand, le règne de

  1. Tome IV, p. 115.
  2. Tome IV, page 260.
  3. Tome VII, page 246.
  4. Page 376.