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la raison par la démocratie. Il y a un mobile, et ce mobile est divin c’est la soif de la vérité et de la justice dans les lois. Il y a une action, et cette action est méritoire, c’est le combat à mort contre le vice, le mensonge et le despotisme. Il y a un dévouement, et ce dévouement est constant, absolu, comme une immolation antique ; c’est le sacrifice de soi-même, de sa jeunesse, de son repos, de son bonheur, de son ambition, de sa vie, de sa mémoire, à son œuvre. Enfin il y a un moyen, et ce moyen est tour à tour légitime ou exécrable, c’est la popularité. » Ici s’arrête l’admiration de M. de Lamartine : elle se change en anathème pour cet homme qui permet que son nom serve pendant huit mois d’enseigne à l’échafaud. Toutefois, à côté de cette indignation, exprimée sans équivoque et avec énergie, il y a dans l’ensemble du jugement de M. de Lamartine sur Robespierre une erreur fondamentale et dangereuse. M. de Lamartine condamne le terroriste, mais il admire le philosophe.

Ce que M. de Lamartine ne pardonne pas à Robespierre, c’est de ta cher de sang les plus pures doctrines de la philosophie. C’est avec enthousiasme qu’il raconte la fête consacrée le 8 juin 1794 à l’Étre suprême, qu’il nous montre Robespierre s’écriant à la vue de la foule qui remplissait les parterres et les allées des Tuileries : « Que la nature est éloquente et majestueuse ! Une telle fête doit faire trembler les tyrans et les pervers ! » Que Robespierre ait été de bonne foi en proclamant la Divinité, l’immortalité de l’ame et la vertu au nom de la république ; qu’il ait cru, pour parler son langage, « recréer l’harmonie du monde moral et du monde politique, » nous ne le nierons pas. Il ne fut pas moins sincère dans son fanatisme qu’envieux et cruel. Seulement il est bizarre que M. de Lamartine semble aussi dupe du déisme de Robespierre que Robespierre lui-même, et qu’il nous dise que c’était la politique élevée à la hauteur du type religieux du philosophe[1]. Il y a quelques années que dans ce recueil[2], en examinant l’Histoire parlementaire de la Révolution française de M. Buchez, et en appréciant un système qui cherche à s’appuyer à la fois sur Jésus-Christ et sur Robespierre, nous signalions dans le jacobinisme deux élémens qui sembleraient ne pouvoir s’unir, et dont néanmoins il faut bien reconnaître l’association, un machiavélisme qui laisse bien loin derrière lui les théories du Prince et la pratique de César Borgia, et un naturalisme qui, se séparant de toute l’expérience acquise du genre humain, aspire à fonder une société entièrement nouvelle. C’est néanmoins dans ce naturalisme insensé, rompant avec l’histoire et toutes les traditions du possible, que M. de Lamartine croit apercevoir les plus pures doctrines de la philosophie ! En écrivant cette phrase, M. de Lamartine n’avait pas

  1. Tome VIII, page 198.
  2. Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1840.