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Qui dicta cette réponse au conseil de Venise ? Est-ce l’influence de Sarpi ? On ne sait ; mais l’hésitation de Venise était plus cruelle pour Bruno que la mort. Le voilà condamné sans jugement à une prison indéfinie. Quel supplice pour cet homme ardent, qui avait tant besoin de mouvement et d’action, que le silence d’un cachot ! Quelle horrible torture que l’incertitude de l’avenir ! Et qu’on songe qu’il resta six ans sous les Plombs ! Venise l’y avait oublié ; mais San-Severina ne l’oubliait pas. L’ame de Torquemada revivait dans cet Espagnol farouche et aigri, qui n’avait touché à la tiare que pour la voir échapper de ses mains, et qui veillait avec Bellarmin autour de Clément VIII pour empêcher la pitié d’approcher du trône pontifical. L’extradition de Bruno eut lieu en 1598. Ce qui se passa dans la prison romaine entre la congrégation du saint-office et sa proie ne nous est connu que par le court récit de Scioppius ; mais on peut s’en fier à ce personnage, voué alors tout entier aux jésuites : on n’accusera pas d’exagération le témoin sans pitié du procès, le spectateur sans entrailles du supplice, l’atroce insulteur de la victime. Après l’examen des pièces qu’on semble avoir lues avec une résolution arrêtée, on procéda aux interrogatoires, qui se succédèrent rapidement. Quand on crut avoir convaincu Bruno, on entreprit de le convertir : ce fut impossible. On le somma dès-lors, sous peine de la vie, de déclarer que ses opinions étaient erronées, ses ouvrages impies et absurdes, faux en religion et en philosophie, en un mot, de se rétracter sur tous les points. Les premiers théologiens de Rome se piquèrent de le subjuguer. Rien ne put vaincre l’inflexible résolution de Bruno ; il ne refusait pas de discuter, mais il refusait de se rendre. On pensa qu’il voulait gagner du temps ; le saint-office se crut joué et résolut d’être impitoyable. Le 9 février 1600, Giordano fut conduit au palais qu’habitait San-Severina. Là, en présence des cardinaux et théologiens, consulteurs du saint-office, devant le gouverneur de Rome, Bruno fut agenouillé de force, et on lui lut sa sentence. Il était excommunié et dégradé. La lecture finie, Bruno fut remis au bras séculier pour être puni « avec autant de clémence qu’il se pourrait et sans répandre de sang » ut quam clementissime et citra sanguinis effusionem puniretur, formule atrocement ironique, reçue pour le supplice du feu, et où se peint le génie hypocrite et implacable de l’inquisition. Un délai de huit jours lui fut accordé pour la confession de ses crimes. Il refusa d’en reconnaître aucun, et, le 17 février 1605, il fut conduit en grande pompe au champ de Flore et livré aux flammes. « C’est ainsi qu’il a péri, » dit le témoin oculaire Scioppius, en ajoutant cette allusion infernale aux mondes infinis de Bruno : « Je pense qu’il sera allé raconter

    p. 320 et suivantes, ainsi qu’un récit de la mort de Bruno, aussi savant et aussi complet qu’on puisse le désirer.