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les bornes de l’être ? Direz-vous que ce n’est rien ? mais le monde est alors contenu dans un pur rien, dans un néant.

La raison, les sens, tout nous persuade de l’infinité des mondes. Comme cette pensée élève l’intelligence, et quelle haute sérénité elle inspire à l’âme du philosophe ! Elle étouffait dans ce monde fini, indigne de Dieu et indigne d’elle-même ; elle respire à l’aise dans cet univers sans limites, objet de ses sublimes contemplations.

Laissons parler Giordano Bruno :

« Ceux qui poursuivent attentivement ces contemplations n’ont à craindre aucune douleur ; nulle vicissitude du sort ne saurait les atteindre. Ils savent que le ciel est partout, parce que de toutes parts est l’infini… N’est-ce pas cette possession de l’infini qui seule ouvre les sens, contente l’esprit, élève et étend l’intelligence, et conduit l’homme tout entier à la véritable félicité ?… Que l’homme élève ses yeux et ses pensées vers le ciel qui l’environne et les mondes qui volent au-dessus de lui. Voilà un tableau, un livre, un miroir, où il peut contempler et lire les formes et les lois du bien suprême, le plan et l’ordonnance d’un ensemble parfait. C’est là qu’il peut ouïr une harmonie ineffable… Étudier l’ordre sublime des mondes et des êtres qui se réunissent en chœur pour chanter la grandeur de leur maître, telle est l’occupation la plus digne de notre intelligence. La conviction qu’il existe un tel maître pour soutenir un tel ordre réjouit l’âme du sage et lui fait mépriser la mort, épouvantail des âmes vulgaires… Qu’est-ce en effet que la mort ? Un pur fantôme. Rien ne peut diminuer quant à la substance ; tout change seulement de face en parcourant l’espace infini. Soumis au suprême agent, nous ne devons ni croire au mal ni le craindre ; comme tout vient de lui, tout est bien et pour le mieux[1]. »

Bruno développe ici avec force un optimisme plein de grandeur. Il se plaît à appeler Dieu : l’ottimo efficiente. Or, un Dieu très bon n’a pu créer qu’un monde excellent. Les sens nous disent qu’il y a des imperfections dans l’univers ; mais l’univers embrasse l’infinité de l’espace et du temps, tandis que nos sens ne saisissent que des parties. Sans doute, aucune chose n’est parfaite et achevée ; chaque partie s’achève, se perfectionne : c’est le tout qui est accompli[2].

Du sein de la monade suprême s’échappent éternellement une infinité de monades inférieures. Chacune d’elles est une image de Dieu, mais chacune le réfléchit sous un angle particulier et dans une certaine mesure. Elles se groupent, elles s’échelonnent suivant leur perfection relative ; tout en avant sa vie propre, chacune participe à la vie universelle ;

  1. De l’Infin., Dial. 5. — De Immenso, I, cap. 1.
  2. « Nihil est absolute imperfectum, sed ad aliquid tantum ; substantia absolute bona. » (De immenso et innumerabilibus, p. 11.)