Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Découvre-moi ta face, et ces lèvres d’où sort
Un souffle nourricier plus puissant que la mort. »

« Que veux-tu ? Je n’ai pas de lèvres ni de face.
Renonce à me trouver dans un coin de l’espace ;
Je n’habite pas l’antre, ou le cèdre, ou le puits.
Tes bras s’ouvrent en vain pour me saisir ; je suis
Plus prompt que le simoun, et plus insaisissable
Que n’est dans un rayon l’atome ailé de sable,
Plus subtil que le feu, plus transparent que l’eau,
Plus fluide que l’air agité par l’oiseau.
Touche, là-haut, des nuits les blanches étincelles ;
Moi je suis plus lointain, plus innombrable qu’elles.
Enlace dans tes bras le désert ou les mers,
Moi je suis plus grand qu’eux, plus un et plus divers ;
Je suis plus beau, je n’ai ni couleur ni figure ;
Qui prétend m’avoir vu commet une imposture.
Reste mon serviteur, écoute, obéis-moi,
Moi, lorsque tout se tait, qui retentis en toi…
Mais c’est assez ; tes yeux ont puisé de lumière
Ce qui peut en tenir sous l’humaine paupière ;
Va, tout plein du désert, prêchant ce qu’il t’apprit,
Homme, retourne aux lieux d’où t’a tiré l’Esprit. »

« Moi, ton hôte, ô Seigneur, m’enfermer dans les villes,
Et porter avec eux le joug des lois serviles,
Faire aspirer ton souffle à leurs poumons impurs ! »

— « T’ai-je dit d’habiter à l’ombre de leurs murs ?
Tu parlerais en vain dans leurs palais frivoles ;
Il faut l’ardent soleil, l’air libre à tes paroles.
Dans le bruit des cités la voix de Dieu se perd ;
Il faut que les humains retournent au désert,
Qu’ils brûlent leurs vieux toits, qu’ils partent, qu’ils oublient
Leurs trésors, leurs plaisirs, ces chaînes qui les lient,
Les festins éternels, les fornications,
Viciant jusqu’aux os les générations.
Le jeûne du désert est leur dernier remède ;
Tu ne peux rien sur eux si le désert ne t’aide.
Mais, aussi loin que toi, nul, sans mourir brûlé,
N’offensera du pied ce sable immaculé ;
Va plus près d’eux, habite une terre moins rude
Dont leurs cœurs puissent mieux porter la solitude,