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païenne et les enseignemens de la Rome chrétienne. L’Allemagne et la Scandinavie ont beaucoup fait depuis quarante ans pour la connaissance des religions, des poésies, des institutions germaniques. À peine a-t-on besoin de rappeler les noms des Rask, des Geijer, des Müller, que la science a perdus, et le nom de J. Grimm dont elle se glorifie encore. En France, des travaux ont été entrepris sur le même sujet ; quelques-uns ont paru dans cette Revue. L’influence des institutions romaines sur l’organisation sociale des peuples conquérans a été mise en lumière par plusieurs écrivains éminens du dernier siècle et de celui-ci, tels que Dubos, Montesquieu, Augustin Thierry. L’influence civilisatrice des missionnaires chrétiens sur les peuplades teutoniques a été décrite dans un beau travail de M. Mignet. Mais, en général, ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont attaqué la question par le nord et par le midi, qui ont étudié l’Edda et le droit romain, qui ont fouillé dans les Sagas et dans les Vies des Saints. Un ouvrage de M. Ozanam, intitulé les Germains avant le christianisme[1], offre le résultat et comme le couronnement de la science actuelle en ce qui concerne la triple génération de la société moderne. Digne héritier de cette chaire de littérature étrangère à laquelle M. Fauriel a attaché une si solide gloire, M. Ozanam était mieux préparé que personne à l’œuvre qu’il a entreprise. Nourri d’études classiques, familier avec le droit romain, il n’était pas exposé à tomber dans les exagérations de quelques érudits allemands qui ne voient que perfection morale et littéraire dans les anciens débris de leur histoire et de leur poésie, et, comme Olaüs Rudbeck, mettraient volontiers le paradis terrestre aux bords de la Baltique. On n’avait pas à craindre que le commerce des antiquités et des imaginations tudesques altérât chez M. Ozanam la sagesse du jugement et l’élégante pureté du langage. En même temps, appelé par les devoirs de son enseignement, qu’il a su rendre à la fois si sérieux et si brillant, à étudier profondément les monumens primitifs des littératures germaniques, il a compris tout ce qu’il y a de grandeur native et de beauté vraie dans ces curieux monumens. Non content de recueillir avec patience, d’exposer avec méthode, de résumer avec vigueur les travaux de l’érudition teutonique et de l’érudition française, il a joint aux résultats acquis par elles les résultats de ses propres méditations et de ses propres recherches ; il a donné un ensemble concis et complet, savant et animé. M. Ozanam semble s’être voué à la tâche originale de refaire l’histoire de l’esprit humain pendant les époques intermédiaires entre la barbarie et la civilisation, qui forment comme le portique obscur, mais grandiose, des sociétés modernes, et dans lesquelles les peuples ont été préparés au rôle qu’ils devaient jouer un jour : véritable initiation accomplie dans les ténèbres du sanctuaire ! Ce sont les mystères de cette initiation laborieuse que M. Ozanam se propose de nous révéler successivement. Nous souhaitons qu’il persévère dans cette importante et difficile entreprise.


V. de Mars.
  1. Lecoffre, rue du Vieux-Colombier.