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tissus. Une analogie vraiment remarquable se rencontre dans les différentes phases qu’a suivies de l’autre côté de la Manche cette branche spéciale de l’industrie cotonnière. — C’est par des mains françaises qu’elle fut transportée de la Hollande dans la Grande-Bretagne, où un réfugié établit la première fabrique de tissus imprimés à Richmond, sur les bords ale la Tamise (1690). Déjà, quelques années auparavant, les tisserands anglais avaient pillé les magasins de la compagnie des Indes, en haine de ses importations de tissus, et le gouvernement avait exclu des marchés nationaux la majorité de ses produits manufacturés. Cependant la compagnie conserva le privilège d’importer les indiennes ; malheureusement l’abus qu’elle en fit pour introduire frauduleusement une grande quantité de toiles ne tarda pas à exciter une nouvelle révolte (1720). Une loi, arrachée par la peur, vint appliquer à ces maux un remède infaillible dans son absurdité même : en prohibant l’usage, quel qu’il fût, des tissus imprimés, elle ruina des populations entières qui vivaient de la confection de ces tissus. L’édit fut rapporté ; le gouvernement lui substitua des taxes de douane onéreuses et des entraves dans la fabrication qui gênèrent long-temps les progrès industriels. Enfin les restrictions cessèrent, et à l’époque où l’art des toiles peintes ne faisait, en France, que commencer à naître, le Lancashire[1], cette Alsace de la Grande-Bretagne, entrait à pleines voiles dans la voie prospère qu’il ne devait plus quitter.

Nous mériterions d’être taxés d’indifférence pour des souvenirs dont notre pays peut tirer un orgueil légitime, si nous ne signalions hautement l’influence toute française qui a présidé à l’introduction en Europe de l’industrie des tissus imprimés. C’est à deux réfugiés français qu’en est due l’importation en Suisse et en Angleterre, les deux seules contrées où cet art se soit montré florissant au commencement du XVIIIe siècle. Le fils de Peluze, qui avait hérité de toute l’activité paternelle, fut long-temps à la tête d’un des plus grands établissemens du continent, la fabrique du Bied. A la fin de cette même période, le petit-fils d’une autre victime de l’édit de Nantes, Pourtalès, entretenait à la fois des manufactures en Angleterre, en France, en Allemagne et en Suisse, et en répandait les produits sur tous les marchés accessibles. Par son esprit ingénieux et actif, ce fabricant donna à son industrie une puissante impulsion, que devaient encore seconder les nombreux perfectionnemens qui y furent successivement apportés.

Long-temps et à juste titre, l’exécution et la beauté du coloris des toiles de l’Inde les firent seules considérer comme étoffes de luxe. Ce fut seulement après la substitution de l’impression en relief au lent pinceautage des Orientaux, que les tissus européens commencèrent à occuper un rang de quelque importance sur les marchés du continent. Cependant le grand problème de l’industrie des indiennes ne reçut une solution vraiment incontestable qu’à la découverte d’un mode continu d’impression. L’Angleterre nous précéda dans cette voie de progrès par une admirable invention mécanique. L’intérêt que l’industrie de ce pays attachait à l’usage de ses précieuses machines fut tel, dans le principe, que les

  1. A l’histoire de l’impression des cotonnades dans ce comté se rattachent deux noms justement illustres aujourd’hui en Angleterre. Le grand-père de sir Robert Peel fut, dans le Lancashire, à la tête d’une importante fabrique de toiles pointes, qui n’employait pas moins de quinze cents ouvriers. Richard Cobden, l’ardent promoteur du libre échange, est imprimeur sur coton à Manchester ; c’est comme notable manufacturier qu’il a été appelé à faire partie du parlement, où il représente le district industriel de Stockport.