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et des forces motrices. Manchester et Mulhouse, les principales villes de ces provinces, sans avoir atteint précisément un degré équivalent de prospérité commerciale, peuvent cependant donner une idée assez exacte du rapport des puissances productrices des deux pays.

Ville essentiellement manufacturière, Manchester a vu, par le seul effort de son industrie, sa population s’élever depuis 1774 jusqu’à 1831, époque du dernier recensement, de 41,032 habitans à 270,961. Sa position géographique est une des causes principales de sa prospérité. Située au milieu des plus riches districts houillers, la métropole du Lancashire se procure facilement et à très bas prix les 26,000 tonnes de charbon qu’elle consomme par semaine. En 1835, ses établissemens de tout genre ne possédaient pas moins de 191 machines à vapeur ; le nombre des ouvriers de tout âge et de tout sexe employés dans ses fabriques atteignait déjà 41,968, et ne fait que s’accroître depuis cette époque. Il n’est pas rare de voir des manufactures produire annuellement plusieurs centaines de mille de pièces d’étoffes. Enfin cette ville, la première du monde pour la filature et le tissage du coton, la fabrication des tissus de tout genre, l’impression des toiles, absorbe à elle seule les neuf dixièmes de l’immense quantité de coton en laine[1] que chaque année l’Orient et l’Occident envoient à l’Angleterre.

Dans des proportions plus restreintes, l’accroissement de Mulhouse et de quelques autres villes du Haut-Rhin n’a pas été moins remarquable. Nous avons dit quelle fut l’origine de la fortune manufacturière de l’ancienne Alsace dans cet art des toiles peintes qu’elle cultive aujourd’hui avec tant de succès. Si on ajoute aux causes premières que nous avons citées toutes les industries auxiliaires que la fabrication des tissus de coton a fait surgir successivement à côté de l’industrie principale, on comprendra facilement que ce n’est point à un concours de circonstances fortuites que Mulhouse doit l’importance qui lui est acquise. Au nombre des causes qui ont agi sur le développement de cette cité industrielle, il faut compter en effet les ateliers de construction de machines à vapeur et autres mises en mouvement par des cours d’eau naturels ou factices, l’établissement de manufactures de produits chimiques, et enfin la culture de certaines plantes tinctoriales, comme la garance, la gaude, le pastel et le carthame, dès long-temps acclimatées en Alsace. On ne doit donc pas s’étonner que Mulhouse, qui, en 1798, époque de sa réunion à la France, ne comptait pas au-delà de 10,000 ames, renferme à présent dans ses murs une population qui dépasse 30,000 habitans, non compris 10,000 ouvriers qui se rendent chaque jour dans ses ateliers de toutes les communes environnantes.

Ce n’est pas d’ailleurs à cette ville seule que l’industrie cotonnière, dont Mulhouse est le berceau, se trouve actuellement limitée en Alsace. Quoique placées dans des circonstances moins avantageuses, plusieurs autres localités du Haut-Rhin, telles que Munster, Sainte-Marie-aux-Mines, Thann, Cernay, Wesserling, ont élevé successivement des manufactures dont le développement est devenu considérable. Aujourd’hui ces fabriques emploient annuellement plus de 4 millions

  1. Environ 300 millions de kilogrammes, soit en argent 600 millions de francs. Cette importation est quintuple de la nôtre. Nous employons dans nos filatures de coton 3,500,000 broches ; les Anglais 17,500,000, — plus de deux fois autant que tous les états du continent européen.