Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

texte, scènes ou détails, ou bien tout ce dont le sens a été détourné, à dessein ou non, tout ce qui n’est pas grec enfin, c’est ce qu’on prend pour tel et ce qu’on applaudit. Les jeunes gens apportent à la représentation quelques souvenirs de collége et un enthousiasme préconçu qui essaie de se prendre à tout ; les femmes, une sensibilité toute prête et un certain instinct des beautés naturelles. Le plus grand nombre se laisse aller à l’impulsion que donnent les jeunes gens et les femmes, ou attend, pour se prononcer, les jugemens du feuilleton. Bref, on applaudit ou l’on siffle ; mais ce que nous pouvons affirmer, c’est que ce n’est ni Euripide, ni Sophocle, ni Eschyle, qu’on siffle et qu’on applaudit. A moins de recourir au texte même, plus le spectateur est sympathique, plus il s’égare ; plus il est intelligent, plus son admiration porte à faux. Ces traductions ou ces paraphrases lui donnent des idées très inexactes du théâtre antique. Elles le trompent par mille contre-sens ou anachronismes de composition, d’idées, de style, de mise en scène et de jeu. Elles le conduisent et l’habituent à faire des rapprochemens sans justesse, tantôt entre la tragédie grecque et la tragédie du XVIIe siècle, tantôt entre la tragédie grecque et le drame moderne. Quelques critiques même, sur ces fondemens mal établis, se mettent à échafauder des théories arbitraires, déclament, font de la couleur, parlent de peplon et de frontons blancs, de quadriges et de Phidias, d’Isis et de bas-reliefs éginétiques. Ils imaginent et improvisent ainsi une antiquité entièrement nouvelle. Ce que tout cela signifie, je ne sais ; mais je sais bien que l’on confond des choses qui ne se ressemblent pas du tout.

Qu’est-ce que la tragédie grecque ? Qu’est-ce que la tragédie du XVIIe siècle ? Qu’est-ce que le drame ? Qu’est-ce qu’ils sont et qu’est-ce qu’ils ne sont pas ? car, en marquant ce qu’ils ne sont pas, nous ferons voir encore mieux ce qu’ils sont. On étudie surtout par contraste. Après avoir éclairé de face la figure que l’on analyse, rien n’en fait mieux saisir toutes les lignes, tous les plans, toute la physionomie, que de l’éclairer comme par des rayons obliques, au moyen de rapprochemens comparatifs qui en varient les aspects.

D’une part, le XVIIe siècle, en imitant les tragédies grecques, s’imagina de bonne foi qu’il les reproduisait fidèlement. A la réserve de quelques modifications, nécessaires pour les accommoder, comme on disait, au goût des modernes, on crut vraiment alors qu’Andromaque, Iphigénie et Phèdre étaient des pièces grecques. Rien de plus faux. D’autre part, le XIXe siècle, doué d’un plus grand sens historique, mais qui souvent devine au lieu d’apprendre, égaré d’ailleurs par diverses préoccupations, s’avise de vouloir retrouver dans la tragédie grecque le drame moderne. Malgré quelques analogies apparentes, cela ne peut pas davantage se soutenir. L’Alceste d’Euripide, arrangée pour la scène française et jouée dernièrement à l’Odéon, suffirait seule à le démontrer. Prenons donc cette occasion de marquer les différences qui séparent les trois systèmes dramatiques représentés par la tragédie antique, la tragédie du XVIIe siècle et le drame.


I.

Il faut se souvenir avant tout que la tragédie, chez les Grecs, fait partie de la religion ; qu’elle n’est pas, comme chez nous, un genre littéraire ayant en lui-