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même sa raison d’être, mais qu’elle est un simple appendice des fêtes de Bacchus. Le chœur chanté à ces fêtes fut d’abord toute la tragédie ; puis dans ce chœur survint un récit qui, à cause de cela, se nomma épisode ou action épisodique[1]. Cette action se développa, et, tout en conservant le nom d’épisode, chose caractéristique, l’accessoire devint le principal. Le chœur fut la tige ; l’action fut la greffe, et la greffe finit par devenir l’arbre presque tout entier. L’action, racontée d’abord, ne tarda pas à se représenter et à mériter son nom ; mais, pour se raconter et se représenter tout ensemble, elle dut se dialoguer. Or, comment serait-il possible de dialoguer n’étant qu’un ? Et le chœur n’était qu’un. On le coupa en deux, on en fit deux hémi-chœurs. En outre, Thespis, après une quinzaine d’autres poètes dont les essais comme les noms sont inconnus, ajouta au chœur un acteur, innovation considérable, ou plutôt véritable moment de la création du genre dramatique. En effet, alors seulement le dialogue et l’action furent réellement constitués. Les deux moitiés du chœur opposées l’une à l’autre, ce n’avait pas été le drame encore : il n’y avait toujours là qu’un élément, et un élément ancien, l’élément lyrique. Dès-lors il y en eut deux : d’un côté le chœur, de l’autre l’acteur, encore unique, mais représentant à lui seul tout un monde nouveau. L’acteur, toutefois, se contente long-temps encore de faire des récits au lieu d’agir, c’est-à-dire que l’élément épique continue de se développer parallèlement à l’élément chorique, mais ils se combineront enfin, et achèveront de constituer le genre dramatique, qui alors les absorbera l’un et l’autre et règnera. Eschyle introduit un second acteur ; Sophocle un troisième : voilà tout. Si le poète a besoin, après cela, d’un plus grand nombre de personnages, le même acteur en représentera plusieurs, car Eschyle vient aussi d’inventer le masque. Il suffira donc de changer les masques, au lieu de changer les acteurs, et dans la distribution de la pièce, au lieu de dire les personnages, on dira les masques du drame.

Voilà comment s’organise la tragédie grecque, voilà quels en sont et les élémens et les moyens. On voit qu’ils sont très simples. Aussi l’action dramatique elle-même, résultant de ces élémens et de ces moyens, sera-t-elle pareillement d’une extrême simplicité. Comme la tragédie primitive avait consisté d’abord en un chœur, puis en un seul épisode entre deux chœurs, Eschyle disposa l’action en trois épisodes, ou actes, comme diraient les modernes, le chœur formant les intermèdes ; mais, pour ne pas trop s’éloigner de la forme primitive, il eut soin que, dans chaque épisode, ce fût un nouveau personnage qui parût. Le moyen d’ailleurs de faire autrement, n’ayant que deux acteurs à sa disposition ? Par exemple, lorsque, dans les Perses, l’un avait joué le rôle de la reine Atossa, il devait, pendant que le second jouait le rôle du messager, changer de costume et de masque, pour revenir sous les traits de Xercès ; et le second, après avoir joué le messager, devait, pendant que le premier reparaissait en Xercès, se préparer à reparaître à son tour pour faire l’ombre de Darius. On voit que nous n’en sommes pas encore à ce qu’Aristote appellera tragédie implexe ; nous n’en sommes qu’à la tragédie simple. C’est une action courte, en droite ligne, un moment dramatique plutôt qu’un drame ; une exposition et un dénoûment qui s’entrechoquent, si l’on peut dire qu’il y ait dénoûment là où il n’y a point de nœud.

  1. δρãμχ έπεισόδιον, ou έπεισοιον tout seul, l’adjectif devenant substantif.