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résument avec lucidité les faits, et établissent entre les différens personnages un lien dont l’esprit saisit aisément la continuité. La correspondance des Feuquières se trouve ainsi à la fois éclairée et complétée.


UNE ANNÉE EN RUSSIE, LETTRES À M. SAINT-MARC GIRARDIN, par Henri Mérimée[1]. — On se souvient encore de l’impression causée, il y a quelques années, par le piquant livre de M. de Custine. On vit clairement se révéler alors le sentiment de curiosité profonde et inquiète avec lequel la France suit le travail mystérieux, les progrès incessans de la Russie. Aujourd’hui même, après les lettres de M. de Custine, après les écrits de tout genre publiés à ce sujet, notre curiosité est loin d’être satisfaite. Dans le domaine si vaste où s’agite la puissance russe, il nous reste bien des aspects à connaître, et les touristes pourront long-temps encore se diriger de Paris vers Saint-Pétersbourg et Moscou, avec la certitude de trouver au retour un accueil empressé pour leurs souvenirs de voyage. Nous ne savons si une telle pensée s’offrait à l’esprit de M. Henri Mérimée quand il a quitté la France. Ce que nous savons, c’est que les lecteurs qui auront choisi un pareil guide pour visiter la Russie n’auront qu’à se féliciter de faire la route en société si gracieuse et si courtoise. Il y a dans le livre de M. Henri Mérimée un charme de causerie qui se soutient même en dépit de ce que le sujet a parfois de sombre et d’affligeant. Rien n’est caché de ce qui fait la grandeur et la misère de la société russe, mais tout est dit avec urbanité, le sourire sur les lèvres, comme il sied à un homme du monde qui a laissé en Russie des amis dont il veut encore serrer la main. Il n’est pas jusqu’à la police impériale que l’auteur ne persifle avec une exquise politesse, quand il lui eût été si facile de faire la grosse voix. Ne sachons pas trop gré pourtant au voyageur de cette réserve qui s’explique au fond par un très vif désir de revoir le pays, pour lequel il a de si doux reproches et de si discrètes railleries. « Bien des gens, dit-il dans une spirituelle préface, trouveront qu’avoir joui de la Russie une fois, c’est déjà fort raisonnable. Ils en parlent bien à leur aise. Pour un amateur passionné de voyages, rencontrer sur la mappemonde un point, un seul point qui lui soit interdit, fût-ce le Spitzberg, c’est ressentir toutes les amertumes de l’exil. Être exilé de la Russie, c’est perdre droit à l’hospitalité la plus généreuse et la plus douce ; c’est ne plus voir Moscou aux blanches murailles ; demain peut-être ce sera ne plus voir Constantinople ; c’est tourner un œil de regret vers ce paradis qu’on appelle la Crimée ; c’est ne plus chasser l’ours à Tobolsk, ne plus pêcher le sterlet à Astracan ; c’est renoncer au voyage de Pékin par les caravanes ; c’est renoncer à prendre les eaux du Caucase, à moins d’avoir une lettre de recommandation pour Schamyl. » Il est impossible, avouons-le, de se confesser de meilleure grace, d’avouer plus nettement qu’on est touriste avant tout. Hâtons-nous de dire qu’il ne faut pas trop prendre le voyageur au mot ; dussions-nous lui fermer la Russie, nous ne pouvons accorder à M. Henri Mérimée que le touriste déterminé ait eu chez lui le pas sur le juge équitable. L’auteur d’Une Année en Russie s’est plus exposé qu’il ne paraît le croire ; il le sait trop bien, vis-à-vis de certaines exigences, la discussion, fût-elle modérée et polie, est toujours une offense. « La Russie (c’est encore lui qui le dit) ne pardonne

  1. Un vol. in-18, chez Amyot.