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ainsi les premiers à 5 pour 100 et les seconds à 12 pour 100. Il y avait là deux points qui, malgré tous les adoucissemens possibles, devaient peser lourdement sur les relations nouvelles, sur les nôtres en particulier, l’aggravation considérable du tarif et la différence énorme introduite entre les droits à l’importation et les droits à l’exportation ; deux points qui changeaient du tout au tout les traditions du Levant, où le commerce n’avait jamais payé comme impôt fixe qu’une taxe médiocre et toujours la même sur les marchandises soit embarquées, soit débarquées. Ce que les stipulations relatives au négoce européen dans l’intérieur de l’empire renfermaient d’excellent et d’élevé se trouvait ainsi fort endommagé. Des causes qu’il est bon d’énumérer vinrent précipiter et multiplier les réclamations.

1° L’Égypte et la Syrie étaient en fait séparées de la Turquie, lorsque les traités de 1838 furent conclus ; elles avaient une administration propre, et, quoique les traités s’étendissent par leur teneur à toutes les dominations de la Porte, les négocians qui résidaient dans ces contrées négligèrent de faire entendre leurs vœux au sujet de mesures qui alors ne les touchaient pas. 2° La Grande-Bretagne et la France auraient bien voulu amener à leurs nouveaux principes toutes les puissances intéressées dans la question turque ; mais l’Autriche maintint l’intégrité de ses capitulations pour ses provinces limitrophes de la Turquie, et n’adopta les conventions anglo-françaises que pour les provinces du littoral de l’Adriatique : des lettres vizirielles avertirent le prince de Servie, les mouchirs de la Bosnie, de l’Herzégovine et de la Croatie ottomane ; qu’il n’y avait rien à prélever sur les sujets autrichiens au-delà des anciens droits. 3° La Russie, qui s’était engagée à traiter avec la Porte sur les mêmes bases que la France et l’Angleterre, a purement et simplement renouvelé ses premières conventions, rédigées aussi sur nos vieilles capitulations françaises, et c’est seulement cette année qu’elle a paru accéder aux conventions de 1838, nous verrons bien sous quelles réserves et dans quelles intentions. 1° Enfin la Porte elle-même n’a pas tenu ses promesses ; les monopoles n’ont pas été entièrement abolis, et un grand nombre de droits intérieurs subsistent malgré les articles positifs acceptés par les plénipotentiaires ottomans.

Parmi toutes ces circonstances qui ont influé d’une façon si malheureuse sur le commerce anglo-français, la plus décisive a été certainement l’attitude gardée par la Russie jusqu’au 30 avril dernier, l’opiniâtreté avec laquelle le cabinet de Pétersbourg a maintenu son ancien droit pendant que les deux autres cabinets faisaient tout seuls et à leurs dépens l’expérience du droit nouveau. La Russie a pris alors un avantage dont nous ne croyons pas qu’elle se soit gratuitement dépossédée par sa nouvelle convention de 1846. La Russie connaît la Turquie et les Turcs ; c’est là tout le secret de sa supériorité dans un pays que nous ne cherchons point encore assez à connaître. Elle eût gagné peu pour son compte à l’abolition des monopoles ; elle n’ignorait pas que les droits intérieurs n’existaient point dans une grande partie de l’empire, et qu’il n’était donc pas besoin de si grands sacrifices pour les racheter ; enfin il n’y avait point de raisonnement assez solide pour faire qu’un négociant qui payait au fisc 5 et 12 pour 100 luttât contre un négociant qui ne payait jamais que 3, et cet avantage frappant du tarif russe était une source d’influence dont la Russie savait bien comment profiter. Qu’arrivait il en effet ? Les sujets et les protégés russes soldaient les 3 pour