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REVUE. — CHRONIQUE.

descendant d’une famille princière du Ghilan, dépossédée par Agha Mohammed-Shah, ne doit la place dont il jouit qu’à la faveur des Russes, et ceux-ci sont bien aises d’avoir ainsi sous la main un prétendant disponible pour le cas où ils voudraient descendre sur le littoral de la Caspienne, au sud d’Astarah.

La tactique de leur diplomatie consulaire est d’ailleurs toute différente de celle des Anglais. Les Russes affectent de se constituer les protecteurs de tous les étrangers, et, tandis que les agens britanniques se sont toujours appliqués à écarter ou à poursuivre de leurs rancunes tous les concurrens que leurs nationaux pouvaient rencontrer, les agens moscovites semblent vouloir mettre les Européens sur un pied d’égalité. À vrai dire, leur générosité a moins de fond que d’apparence, et il y a plus de bruit que d’effet dans leurs bonnes intentions : ils gagnent à les proclamer l’avantage de passer, aux yeux des Persans, pour le plus considérable de tous les états occidentaux, et, pour les réaliser, ils ne s’imposent à coup sûr que de très minces sacrifices. Ainsi, l’un des articles du traité de 1828 assurait aux créanciers russes un privilège d’ordre spécial dans les faillites des sujets persans, et leur garantissait le recouvrement intégral de leurs créances, sauf à laisser les autres concourir ensuite au marc le franc. La Russie s’est donné le mérite d’abdiquer en droit cette faveur exclusive ; mais, profitant de son autorité toujours active et toujours présente, elle s’en est réservé la jouissance de fait dans toutes les occasions où elle devenait précieuse.

Ce ne serait là d’ailleurs qu’un bénéfice insignifiant auprès des avantages plus sérieux que le commerce russe devrait retirer de nouvelles mesures qui sont, dit-on, en voie d’exécution. Les marchandises européennes qui arrivent de Trébisonde à Tauris traversent le territoire turc dans les circonstances les plus défavorables. À peine sort-on du pachalik de Trébisonde pour entrer dans celui d’Erzeroum, que l’on trouve des routes impraticables ; ni ponts, ni gués, ni chaussées ; les caravanes s’arrêtent long-temps, et le trajet est si âpre, que les frais de transport s’élèvent à des sommes énormes. Il faut joindre à tous ces embarras la crainte continuelle du brigandage des Kurdes, seuls maîtres véritables de ces vastes régions qui séparent la Turquie de la Perse. L’état de cette frontière rappelle sur de plus amples proportions, avec les mœurs et l’étendue des déserts de l’Orient, cet état déplorable du Border écossais au moyen-âge. Les Kurdes forment une population errante dont les tribus, sans cesse en guerre avec elles-mêmes et avec tout le monde, se jettent à chaque instant d’un empire sur l’autre pour éviter un châtiment ou pour saisir une proie. Cette agitation continuelle, les démêlés, les ravages qu’elle entraîne, ont fini par amener entre la Porte et le shah des différends bientôt envenimés par l’aversion nationale des Persans pour les Turcs, et les tentatives de conciliation, qui se prolongeaient inutilement depuis quatre ans, semblent aujourd’hui rompues à la suite des excès de la populace d’Erzeroum contre les négociateurs persans. Nous ne savons jusqu’à quel point la Russie s’est interposée comme médiatrice entre ces deux puissances qui lui sont si malheureusement subordonnées ; nous avons tout lieu de douter qu’elle les ait jamais exhortées à la paix ; elle aura du moins profité de leur mésintelligence. Le comte Cancrin avait eu la mauvaise idée d’enfermer dans les lignes de douanes russes la province transcaucasienne qui était auparavant un marché libre où toutes les provenances étrangères pouvaient entrer moyennant un droit de 5 pour 100 ad valorem : la contrebande a tout