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les traits de la pauvre fille qui gèle au coin des bornes, tantôt sous ceux de la femme entretenue qui sort des mauvais lieux du journalisme ; enfin pour quelques heureux, la Renommée était la brillante courtisane insolente qui a des meubles, une voiture, et peut faire attendre ses créanciers[1]. Ainsi la littérature était immolée comme la politique.

Le romancier traite-t-il mieux le monde et les femmes ? Il se dépense beaucoup d’esprit dans les salons que M. de Balzac ouvre au lecteur dans ses romans ; mais, dans leurs causeries, ses personnages n’ont qu’une pensée, c’est de se moquer les uns des autres et d’eux-mêmes avec plus ou moins de finesse, de se bien prouver mutuellement qu’aucun d’eux ne croit à rien ; c’est une continuelle fatuité dans le vice, sans repos ni trêve, à mille facettes, et qui ne fatigue pas moins que ne ferait une perpétuelle prédication de la vertu. Est-il vrai que les femmes doivent à M. de Balzac une reconnaissance aussi vive que quelques-unes l’ont prétendu ? Nous savons qu’il a placé dans ses récits plusieurs figures touchantes où le dévouement de la femme, ses vertus, sont idéalisés dans toute leur puissance, dans tout leur charme, comme Marguerite Claës, Renée de Maucombe, Eugénie Grandet, Mme Firmiani et quelques autres ; mais, si de ces types privilégiés nous passons à la peinture générale des femmes, quel contraste ! Au moment où il semble le mieux célébrer leur empire, où il les dote d’un seconde jeunesse à trente ans et à quarante ans d’une dernière et magnifique splendeur, ne les dégrade-t-il pas quand il arrive à décrire non plus leurs charmes, mais leur caractère ? C’est alors que nous apprenons dans M. de Balzac que les femmes sont des poêles à dessus de marbre. C’est déjà fort triste ; pourtant la leçon va plus loin, car le romancier pose en axiome qu’il y a toujours un fameux singe dans la plus jolie et la plus angélique des femmes, et il ajoute, pour ne pas laisser le moindre doute sur l’importance qu’il attache à cette pensée, qui pour lui n’est pas une boutade : « À ce mot, toutes les femmes baissèrent les yeux comme blessées par cette cruelle vérité, si cruellement formulée[2]. » Ici, sans le vouloir, le romancier nous livre son secret : ce qu’il dit des femmes, il le pense de tout le monde ; il estime au fond qu’il n’y a rien de sincère dans la vie humaine, que tout y est ruse et fiction. Nous ne dirons point à M. de, Balzac qu’une pareille opinion est immorale, et qu’elle lui a inspiré bon nombre de pages dangereuses qui ont pu porter le trouble et le désordre dans beaucoup d’esprits : ce reproche pourrait le faire sourire ; peut-être même ne lui déplairait-il pas, car il attesterait sa puissance. Nous ne changerons pas la critique en sermon, et les conséquences

  1. Illusions perdues, 1835.
  2. Scènes de la vie privée.