Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contemporains, loin d’être satisfait, il se croira méconnu, déprécié. Qu’est-il donc ? Un penseur de génie. N’en rabattez rien, si vous ne voulez pas déchoir dans son estime. Voici quelques-unes des idées principales qu’il présente à notre admiration comme des titres qui l’autorisent à prendre séance entre Leibnitz, Kant et Montesquieu. Un jour, il eut l’idée d’une comparaison entre l’humanité et l’animalité. Pour ce qui concerne le règne animal, M. de Balzac nous apprend que, bien avant la célèbre controverse de Cuvier et de Geoffroi Saint-Hilaire sur l’unité de composition, il était pénétré de la vérité de cette loi, dont il avait su discerner les rudimens non moins dans les écrivains mystiques comme Swedenborg et Saint-Martin que dans les plus illustres naturalistes, tels que Buffon et Charles Bonnet. Armé de ce système, M. de Balzac reconnut que la société ressemblait à la nature, qu’elle faisait de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différens qu’il y a de variétés en zoologie. Quelle conséquence tira-t-il de cette prétendue ressemblance ? C’est qu’un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un savant, un homme d’état, un marin, un commerçant, un poète, un prêtre, sont aussi différens entre eux que peuvent l’être le loup, le lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis. C’était, il faut l’avouer, une merveilleuse découverte. Voilà donc pourquoi M. de Balzac a porté tant d’exagération dans la peinture des caractères et des types répandus à travers ses romans. Comme il se considérait comme un autre Buffon, qui faisait pour la société ce que l’historien des quadrupèdes avait fait pour la nature, il ne voyait partout que des espèces sociales, et souvent il n’oubliait qu’une chose, le genre lui-même, le genre humain avec ses caractères généraux et permanens. Que l’homme ait dans la main une épée, une équerre ou une plume, il ne change pas de nature pour être soldat, écrivain ou artisan. Il n’est pas vrai, comme le pense M. de Balzac, que les habitudes, les vêtemens, les paroles d’un prince, d’un banquier, d’un artiste, d’un bourgeois, d’un prêtre et d’un pauvre soient entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations. Au contraire, quand on embrasse l’ensemble de l’histoire de l’humanité, on est frappé des ressemblances fondamentales qu’à travers toutes les civilisations l’homme garde toujours avec l’homme. Regardez le genre humain dans les successions des siècles et dans la diversité des climats, à Memphis, à Suze, à Athènes, à Rome, que ce soit la Rome de Sylla ou d’Innocent III, passez du monde antique au moderne, et vous verrez les sociétés vivant sur le fond des mêmes idées et des mêmes passions. L’inégalité du développement constitue seule la variété de l’histoire.

Mais qu’allons-nous parler d’histoire à M. de Balzac ? Il la dédaigne ; il en accuse l’éternelle stérilité. Il demande si, en lisant les sèches et