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est vraiment merveilleux ; les artifices qu’il dut inventer à chaque obstacle nouveau lui ont été empruntés dans ces derniers temps avec plus ou moins de bonheur, mais ils n’ont jamais été dépassés. Rien n’a manqué à l’expérience du docteur Itard que le succès.

Attacher le sauvage de l’Aveyron à la vie sociale, réveiller chez lui la sensibilité nerveuse, étendre la sphère de ses idées, le conduire à l’usage de la parole, tel est en peu de mots le programme qu’Itard s’était tracé. Le premier, le plus grave des obstacles que rencontrait ce programme était l’indifférence complète de l’élève pour tout ce qui dépassait l’étroite sphère des besoins physiques. A force de douceur et de patience, Itard parvint à lui inspirer quelque goût pour les jouissances factices de la civilisation. Le maître fit ensuite l’éducation de chaque sens. Cet homme, qui vivait comme aveugle et sourd au milieu des autres hommes, apprit à voir, à écouter, à distinguer les odeurs et les diverses impressions du toucher. D’insensible qu’il était aux tendres affections de l’ame, il devint de jour en jour plus caressant, plus attaché à son maître. Où les efforts d’Itard échouèrent presque absolument, ce fut dans l’enseignement de la parole. Le docteur parvint cependant à donner à son élève une idée de la valeur conventionnelle des signes écrits. Avec quelle peine de telles notions se gravèrent une à une dans le cerveau de ce malheureux, c’est ce qu’il est facile d’imaginer. Itard croyait-il avoir communiqué, par exemple, au sauvage l’idée générale du mot livre, il se trouvait que celui-ci n’en faisait l’application qu’à un seul volume de couverture rose, qui était dans sa chambre. Tout livre qui n’était pas celui qu’il avait dans sa chambre n’était pas un livre pour l’idiot. Il fallut alors créer chez lui l’art des rapprochemens. Au milieu de ces obstacles multipliés, Itard était quelquefois tout près de regretter tant de soins inutiles et douloureux. Avec quel serrement de cœur on suit la marche du maître à travers les angoisses de cette instruction lente et difficile ! Comme on partage ses découragemens amers, au moment où, après plusieurs mois d’exercice, croyant avoir saisi par les cheveux l’intelligence de son élève, il la sentait passer comme une ombre à côté des leçons les plus simples et méconnaître la valeur mille fois répétée des signes usuels ! Ces espérances déçues, cette trame de Pénélope qui se défaisait sans cesse sous ses doigts, rien ne rebuta la patience stoïque du docteur. Nouvel alchimiste, il avait entrepris de faire un homme au moral et de remanier les conditions primitives de la vie. Accuser ici de l’insuffisance des résultats, avec quelques auteurs modernes, la philosophie du dernier siècle, c’est méconnaître le véritable nœud de la difficulté : Itard a fait pour le sauvage de l’Aveyron tout ce que l’art pouvait faire, et si, après avoir modifié notablement l’état intellectuel et physique de cet être bizarre, il s’arrêta, c’est que la nature lui a manqué. On comprend toutefois que cette