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M. Serres nous paraît être celui qui a le mieux étudié les conditions organiques au milieu desquelles se forme cette idiotie tardive. Un enfant naît avec un éclat d’esprit et de mémoire qui fait bien espérer de son avenir ; il a du succès dans ses études ; à peine si un observateur très exercé distinguerait en lui le point noir, précurseur de l’orage qui doit traverser un peu plus tard ces heureux commencemens. Arrivé, à un certain âge, tout ce brillant des facultés s’éclipse, et l’adolescent tombe alors dans une sorte d’engourdissement moral. À l’époque où l’imbécillité se manifeste, non-seulement le crâne s’immobilise dans sa forme et dans son volume, mais encore, selon M. Serres, le front se déjette quelquefois en arrière. Ce fait extraordinaire n’est pas exclusivement lié à l’idiotie tardive ; on le rencontre dans les races abaissées. Les enfans du peuple américain, disent Ulloa et Zarate dans leurs écrits sur le Nouveau-Monde, donnent quelque lueur d’intelligence jusqu’à l’âge de seize ou dix-sept ans : ils apprennent dans cet intervalle à lire et à écrire, ils font même naître des espérances plus flatteuses ; mais, à la vingtième année, la stupidité se développe tout d’un coup : au lieu d’avancer, ils reculent et oublient tellement ce qui ils avaient appris, qu’on est contraint de renoncer à leur éducation. Cette invasion tardive de l’idiotie est accompagnée dans la race américaine, comme chez quelques individus de la race blanche, d’un mouvement de bascule (l’expression appartient à M. Serres), qui rejette tout le crâne en arrière et qui efface ainsi les caractères de la dignité humaine. Si nous descendons vers le règne animal, nous retrouvons encore la concordance des mêmes phénomènes moraux. Les singes naissent avec une somme à peu près égale d’instinct dans toutes les familles, mais les uns s’arrêtent après le premier âge et rétrogradent vers des conditions fixes de déchéance, tandis que les autres demeurent dans leur état de supériorité. On pourrait donc dire que les limites qui séparent les genres en histoire naturelle et qui constituent les divers degrés d’instincts se fixent par le mouvement de l’âge. L’imbécillité, considérée comme un degré inférieur dans la série des développemens de notre intelligence, rentre ainsi dans l’ordre général des choses : ce qui nous échappe, c’est la raison du fait. On se demande comment le doigt de Dieu s’étend tout à coup sur la tête de l’homme dans sa croissance, et la remplit d’ombre en lui disant : « Tu n’iras pas plus loin (non ibis amplius). »

L’étude des circonstances au milieu desquelles se forme l’imbécillité fait naître une question pratique : existe-t-il des moyens d’hygiène morale pour empêcher ce renversement du cerveau et des facultés intellectuelles ? Nous rentrons encore ici dans les influences de l’éducation. En appuyant l’esprit de l’adolescent sur des réalités, en cultivant chez lui des aptitudes solides, comme le jugement et la réflexion, on arriverait à lui créer des points de défense contre les attaques tardives de