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intermédiaire l’appelle à être l’arbitre entre tant d’élémens qui se combattent dans le pays. Il y a du reste dans le caractère même des habitans des qualités qui la rendent très propre à ce rôle de conciliation. Le Madrilègne n’a pas la gravité taciturne du vieux castillan ; il n’a ni l’exubérance prétentieuse de l’Andalou, ni l’inquiète turbulence du Catalan, ni la rusticité du Galicien et de l’Asturien, ni la fierté têtue du Navarrais ; il a l’esprit libre, facile, ouvert, peu profond peut-être, mais aussi dégagé de tout préjugé local ; il s’assimile aisément tous les goûts et toutes les habitudes. Le Madrilègne a cette supériorité, cette distinction particulière aux populations des capitales. Si le lien politique qui unit les diverses parties de la Péninsule paraît souvent si relâché, si l’autorité centrale semble illusoire, ne croyez pas que ce soit parce que le hasard jeta autrefois dans une solitude de la Nouvelle-Castille une métropole sans prestige ; le motif en est autrement puissant. C’est que l’indépendance provinciale est un fait trop ancien, trop enraciné en Espagne, pour qu’il puisse être supprimé en un instant ; c’est qu’il n’est pas facile de maîtriser et de ramener sous la même loi tant de passions rebelles, qui ont dû leur naissance à tout un ensemble de phénomènes historiques, et que de mauvais gouvernemens ont laissées ensuite sans direction. Ainsi, la faiblesse de Madrid, réelle encore sous ce rapport, ne résulte pas de causes qui lui soient propres : elle provient d’un état général qui est en train de disparaître pour faire place à la vie moderne. Laissez s’accomplir cette rénovation politique, et la ville espagnole n’aura rien à envier à plus d’une capitale européenne. Elle n’aura rien à envier, même en beauté matérielle ; déjà, au XVIIIe siècle, elle s’était beaucoup agrandie sous l’influence de souverains éclairés. Madrid doit à cette époque le peu de monumens quelle possède, le palais d’abord, qui a vraiment un royal aspect, l’élégant arc-de-triomphe de la porte d’Alcala, la Douane, l’hôtel des Postes, le Jardin botanique, le beau Musée du Prado, œuvre de l’architecte Villanueva, le Prado lui-même, qui était autrefois un terrain inculte, inégal, bien qu’il fût le théâtre de tant d’intrigues charmantes. Il faudrait parler encore des travaux d’assainissement, de ces mille réformes de détail qui finissent par renouveler une ville, et des tentatives qui furent faites pour ramener la fertilité dans les campagnes environnantes ; mais c’est principalement depuis quelques années que la physionomie de Madrid est changée : il suffit d’avoir vécu quelques jours dans ses murs pour être frappé du mouvement qui s’y opère et tend à transformer ses conditions matérielles aussi bien que l’esprit et les habitudes de sa population. La révolution a laissé partout des traces visibles ; elle est écrite sur le sol même que l’industrie naissante bouleverse. On peut la voir dans la rue, où elle a mis le mouvement. C’est un spectacle plein d’animation, dont l’intérêt efface bientôt les sentimens