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vigoureuse, ce serait de diminuer le nombre des emplois, d’exiger des garanties de ceux qui prétendent aux fonctions publiques, de limiter les promotions qui se font le plus souvent arbitrairement, d’établir une hiérarchie et de la respecter, tandis qu’on voit aujourd’hui des hommes de peu de valeur nommés tout à coup chefs politiques, des officiers passer soudainement, grace à une insurrection, d’un grade subalterne au grade de général. Le nombre des fonctionnaires est véritablement immense en Espagne : c’est toute une nation à côté de la vraie nation. Il y a des employés en activité et en non-activité même dans l’ordre civil et chacune de ces positions a encore plusieurs nuances ; on a calculé qu’il y avait une personne sur trente-cinq qui touchait un salaire de l’état. Partout se retrouve la même proportion ; partout on petit distinguer la même exagération. Le nombre des fonctions supérieures est surtout extrême. Qu’on examine la composition de l’armée : l’Espagne a une armée trois fois moins nombreuse que la nôtre, et elle n’a point à soutenir une guerre incessante comme celle d’Afrique, où les grands services appellent les récompenses. Eh bien ! elle compte plus de six cents généraux, c’est-à-dire le double de ce qu’il faut en France pour suffire à un des premiers états militaires de l’Europe. Il est impossible que cette quantité d’emplois, de dignités, n’entretienne pas une multitude d’ambitions, outre la charge considérable dont l’état se trouve grevé. Je sais bien qu’il y a une ressource dont on use assez communément, c’est celle de ne point payer les employés ; les classes actives, comme les classes passives, ont leur solde arriérée. D’un autre côté, il est arrivé plus d’une fois que des fonctionnaires faisaient volontairement le sacrifice de leurs appointemens ; mais ici se place un autre danger : il y a en Espagne, ainsi que je l’ai dit, un très vif instinct d’indépendance individuelle, et ce désintéressement volontaire ou forcé vient en aide à cet instinct, favorise cette tendance qu’a en général l’employé espagnol à substituer sa propre initiative à celle du pouvoir dont il reçoit des ordres. Il n’est pas très rare qu’un fonctionnaire placé dans une position éminente laisse de côté les instructions du gouvernement pour appliquer ses propres vues. Cela est arrivé à Madrid où un directeur de l’université corrigeait si bien l’organisation de l’instruction publique, fixée par un décret, qu’elle était complètement changée. Les fonctions gratuites risquent ainsi de devenir un des déguisemens de l’anarchie. Ce sont là quelques-uns des points sur lesquels les réformes devraient porter. Ces premières difficultés résolues, croit-on qu’il ne resterait pas assez de temps pour discuter sur des mots, pour savoir si l’administration qu’on fonde est une administration à l’espagnole ou à la française : ce qui a été quelquefois l’objet de très sérieux débats ?