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Il y a même dans cette toile des erreurs singulières que je ne sais comment nommer, et qui étonnent le spectateur le plus bienveillant, pourvu qu’il soit attentif. Je veux parler d’une femme dont l’épaule droite est plus haute que l’épaule gauche. Par un caprice difficile ou plutôt impossible à expliquer, l’auteur a placé la mamelle gauche au-dessus de la mamelle droite. Je serais curieux, je l’avoue, de voir le modèle qui a posé devant lui. Les deux vers de Juvénal qu’il a pris pour thème de sa composition sont assez pauvrement rendus. Assistons-nous à la fin de l’orgie ? C’est ce que disent les admirateurs persévérans de M. Couture. Pour moi, je ne saurais le croire ; car le visage des acteurs, au lieu de trahir l’épuisement de la débauche, n’exprime tout au plus que la souffrance et la décomposition. A proprement parler, ce n’est pas une orgie, c’est un lazaret. Il y a, je le reconnais volontiers, une certaine habileté dans la disposition et même dans l’exécution de l’architecture ; les draperies, quoique un peu trop chiffonnées, ne sont pas mal conçues, mais la couleur est d’une monotonie désespérante. Il règne sur toute cette toile un ton gris qui, assurément, n’a rien d’italien. Ce n’était vraiment pas la peine d’emprunter à Paul Véronèse toute la richesse de son architecture pour éclairer les figures d’une lumière si triste et si uniforme. S’il faut dire toute notre pensée, M. Couture n’a rien de commun avec Poussin ni avec Lesueur, dont il devait effacer jusqu’au souvenir. Il relève de Natoire et de Restout comme un disciple fidèle et dévoué. Peut-être a-t-il marché sur leurs traces sans le savoir ; mais, qu’il le sache ou qu’il l’ignore, il est avéré pour tous les yeux exercés qu’il n’a rien régénéré, et qu’il nous reporte aux plus mauvais jours de la peinture française. Je crois sincèrement que M. Couture, en empruntant le sujet de sa composition à la sixième satire de Juvénal, n’a pas assez consulté ses forces. Pour traiter un pareil sujet, il fallait avant tout posséder le sentiment de la beauté antique ; or, M. Couture ne semble pas même l’avoir entrevue. Sans étudier les ruines de Pompéi et le musée de Naples, sans consulter les noces aldobrandines, avec le seul secours des richesses que nous possédons à Paris, il n’était pourtant pas impossible de pénétrer familièrement dans le secret de la beauté antique. M. Couture ne paraît pas avoir compris toute la portée du problème qu’il s’était proposé. Plein de confiance en lui-même, il s’est mis à l’œuvre sans mesurer la carrière qu’il voulait parcourir. Étourdi par les louanges, il a cru sans doute posséder un talent sérieux, une science profonde, et son talent se réduit jusqu’ici à une habileté toute matérielle. Les deux portraits qu’il a envoyés au Louvre justifient pleinement le jugement sévère que nous sommes forcé de porter sur les Romains de la décadence. En étudiant ces deux portraits, on voit en effet en quoi consiste le savoir positif de l’auteur : il est prouvé qu’il ne sait pas modeler. Les chairs ne sont pas soutenues. De la pommette à la mâchoire inférieure,