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la Marche, dans la Poméranie, dans la Prusse orientale, enfin dans la Silésie, des institutions de crédit agricole, des espèces de banques territoriales organisées à l’exemple de celles de Pologne pour prêter de l’argent aux propriétaires moyennant une garantie privilégiée sur leurs biens. Les billets qu’elles mettent en circulation, et qui représentent ainsi des valeurs foncières, portaient intérêt à 4 pour 100 ; elles ne donnèrent plus que 3 et demi à partir de 1839 ou de 1840. L’état fit de même en 1842 pour ses obligations ; il adopta le taux servi par les banques agricoles et convertit la rente en 3 et demi. Ce qui résulta de cette double réduction, ce fut l’émigration de nombreux capitaux qui allèrent chercher au dehors un meilleur placement. Ils s’étaient à peine éloignés, qu’on précipita l’œuvre immense des chemins de fer avant même d’avoir constaté les ressources qui pouvaient rester au pays pour aborder de pareilles dépenses.

La gestion des finances prussiennes est malheureusement répartie de manière à favoriser ces opérations défectueuses. Elle n’est pas aux mains d’un seul fonctionnaire : le ministre des finances n’a point à s’occuper des questions de crédit ; celles-ci relèvent exclusivement d’un ministère particulier auquel est confiée la direction de la dette publique et de la caisse d’amortissement. C’est l’inconvénient universel du système administratif de la Prusse ; il est impossible qu’il y ait de l’unité dans la conduite des affaires, parce qu’il n’y a point de poste supérieur d’où l’on embrasse l’ensemble ; on trouve ainsi d’excellens chefs de bureau, de bons chefs de division ; l’on ne trouve pas un véritable homme d’état, un premier ministre. Depuis M. de Hardenberg, personne n’a joui d’une autorité suffisante sur tous les départemens, et chacun d’eux a travaillé constamment à part. Cette action morcelée compromet trop souvent la chose publique. Voilà comment le ministre de la dette réduisit tout d’un coup le taux de la rente, parce que, ne considérant pas la situation générale du pays et du revenu, il n’envisageait que l’épargne spéciale dont sa caisse bénéficiait, du moment où il aurait allégé le service des intérêts. Voilà, d’autre part, comment le ministre des finances ordonna la construction d’un réseau de chemins de fer, sans s’inquiéter des moyens d’y pourvoir, parce qu’il ne connaissait rien à l’état du crédit.

Ceux des capitaux qui n’avaient pas quitté la Prusse à la suite de l’abaissement général du taux de l’intérêt, sortirent de leurs placemens réguliers pour se précipiter sur les actions de chemins de fer, quand une fois il fut décidé que l’entreprise serait abandonnée aux souscriptions des particuliers et non point exécutée par l’état au moyen d’un emprunt public. L’esprit de spéculation réclamait à grands cris la jouissance d’un si vaste champ ; l’esprit de gouvernement aurait dû se refuser à courir de semblables hasards, mais le gouvernement ne pouvait se mettre lui-même à l’œuvre sans négocier un emprunt, et cette négociation n’était point valable sans l’assentiment des états-généraux, dont on ne voulait point. On s’accommoda de l’exploitation des compagnies, et celle-ci attira bientôt à elle toutes les ressources pécuniaires dont s’alimentaient les autres industries. On a depuis lors commis faute sur faute. La première et la plus grave, c’est qu’on n’ait pas pensé tout de suite à tracer un ensemble général des grandes voies qu’il fallait construire, à rattacher toutes les extrémités du royaume au centre ; on a laissé les premières sociétés qui se formèrent par actions s’emparer des lignes les plus avantageuses, et l’on n’a point su leur imposer, en guise de