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compensation, des embranchemens moins profitables. On a dû, pour ceux-ci, encourager la spéculation par la garantie d’un minimum d’intérêt ; ç’a été aussitôt une proie jetée à l’agiotage. Il a donc enfin fallu s’apercevoir qu’on n’aurait pas si aisément ces 150 millions de thalers dont on avait absolument besoin pour ces immenses constructions. On avait beau tirer à soi par l’appât des primes et détourner de leurs voies naturelles les fonds ordinaires du commerce, de l’agriculture, des fabriques on a mis la disette sur la place, gêné de plus en plus le travail national, et les compagnies ont encore vu l’argent leur manquer. On avait espéré dans l’appel qu’on ferait aux capitaux du dehors ; mais on ne songeait pas que la France, l’Italie, l’Autriche et presque tous les états allemands offraient justement alors, par les routes de fer qu’ils avaient eux-mêmes entreprises, des débouchés plus lucratifs que les chemins prussiens, et l’argent s’en alla souvent de Berlin pour chercher à l’étranger cette sorte de placement qu’on invitait l’étranger à venir chercher dans Berlin même. La circulation s’est ainsi resserrée chaque jour davantage, le prix de l’argent s’est relevé beaucoup plus haut qu’il n’était avant la réduction de 1842 ; les affaires sont tombées, et de tous côtés ont éclaté des banqueroutes. Pour prévenir de plus grands maux et faire moins de victimes, le gouvernement s’est arrêté dans l’exécution des chemins projetés, et il a suspendu les concessions.

Tel est l’état périlleux auquel M. Bülow-Cummerow cherchait un remède, dès la fin de 1845, dans une étude spéciale sur les finances prussiennes. M. Bülow est convaincu que la nation n’était point assez riche pour subvenir avec des souscriptions particulières aux frais énormes d’une opération d’aussi longue durée que celle des chemins de fer. Il est convaincu que le crédit ne procure d’argent qu’à la condition que le défaut d’argent n’ait pas déjà causé des embarras dont le crédit s’effraie. Il propose de tenter des moyens plus prompts pour restaurer le crédit lui-même et terminer aux frais de l’état les voies en cours d’exécution, pour rendre ainsi aux diverses industries les capitaux indispensables que la spéculation leur a ôtés. Il examine d’abord comme points de départ le rapport publié en 1842 par le ministère de la dette publique, et l’état principal des finances publié en 1844 par le ministre des finances lui-même. En somme, la dette publique, qui n’a jamais été au-delà des forces du peuple prussien, a diminué par la réduction d’intérêt de 1842, mais cette diminution est devenue illusoire à cause de l’obligation qu’on a prise d’assurer une garantie d’intérêt aux porteurs d’actions des chemins de fer. Le budget des recettes s’est grossi progressivement depuis 1822, mais les dépenses d’administration ont suivi le même cours, et, le nombre des employés s’accroissant à l’infini, on ne réalise pas tous les bénéfices qu’on devrait trouver. La situation n’est donc pas assez prospère pour que la Prusse se sauve avec ses seules ressources de la disette où l’a jetée l’entreprise des chemins ; la situation est, au contraire, assez solide en elle-même pour offrir une garantie certaine à des prêteurs étrangers : il faut négocier un grand emprunt public et le négocier avec l’Angleterre, dont les fonds, disait M. Bülow en 1845, seront au service de la Prusse, dès que la Prusse aura cessé d’être une monarchie absolue. Le point est à considérer : ce n’est pas seulement par les rapports politiques que la nouvelle constitution vise à lier ensemble la Prusse et l’Angleterre ; des esprits sérieux y voyaient à l’avance une sûre occasion pour des rapports d’argent. Que les capitaux anglais aillent s’employer dans les