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lui permet pas aujourd’hui de prétendre au pouvoir. Jusqu’à présent, les conservateurs progressistes ont plutôt des tendances et des désirs que des idées faites et des plans arrêtés. Par la sincérité de leurs sentimens, par les dispositions qu’ils annoncent, ils sont destinés à servir, à fortifier le parti auquel ils appartiennent. Nul ne souhaite plus vivement que nous de les voir, par des études fortes, par des travaux approfondis, par des succès de tribune, s’assurer une influence avec laquelle il faudra compter. Ils doivent reconnaître de plus en plus qu’on ne peut conquérir en un jour le crédit, l’ascendant parlementaire. C’est l’affaire du temps. Le gouvernement ne saurait donc craindre aujourd’hui d’être devancé dans la carrière du bien ; seulement il faut qu’il y marche sans trop de lenteur. Il doit considérer la session actuelle, qui est la première de la chambre de 1846, comme un point de départ pour préparer et mûrir des mesures nécessaires. Cette session a déjà été et sera encore pour lui pleine d’avertissemens et d’indices qui achèveront de lui faire connaître le véritable esprit du pays et du parlement.

Tout le monde aujourd’hui se dispute la même politique, et tout le monde se sert des mêmes mots : On dit de tous côtés qu’il faut améliorer en conservant et ne rien détruire avec violence. N’est-ce pas le langage de l’opposition constitutionnelle ? Quand M. de Rémusat reproduit sa motion sur les incompatibilités, il se propose, par des amendemens qu’il croit utiles, d’affermir la législation électorale et non de l’ébranler. Le principe des incompatibilités est inscrit dans l’article 64 de la loi du 19 avril 1831 : serait-ce une innovation dangereuse que de l’étendre aujourd’hui à quelques cas qui ont échappé à la prévoyance du législateur ? Quand une question est posée dans des termes aussi mesurés, il est difficile de ne pas lui donner audience. C’est ce qu’a reconnu le cabinet en ne s’opposant pas à la lecture de la proposition. Il est même, comme nous l’avons déjà indiqué, disposé à accepter une discussion approfondie de la question, mais plus tard, quand la chambre ne sera plus séparée que par un an ou deux du moment où elle doit comparaître devant les électeurs. C’est à pareille époque que la chambre de 1842 prit en considération la même proposition, que présentait alors pour la seconde fois M. de Rémusat : une commission fut nommée, et, sur le rapport de M. Hébert, la chambre vota le rejet du principe même de l’extension des incompatibilités. Le parlement de 1846 sera-t-il plus accessible à des idées de réforme sur ce point ? Peu de questions se sont aussi souvent offertes à l’examen des deux chambres. On en aperçoit le germe dès 1829. À dater de 1830, on a vu se produire une série de propositions diverses dans leurs moyens d’exécution, mais tendant toutes au même but. Pendant six ans, l’infatigable M. Gauguier a demandé que le traitement des fonctionnaires fût suspendu pendant la durée des sessions ; puis vinrent M. de Remilly, M. Mauguin, M. Ganneron, M. de Sade, enfin M. de Rémusat. Il est une considération qui, dans la chambre de 1846, pourra être de quelque poids. Au moment où de grands propriétaires, où des hommes considérables par leur fortune, par une situation aristocratique, tendent à prendre dans la chambre une plus grande autorité, il importe, sans contredit, au bien général de contrebalancer cette influence légitime, mais qui peut avoir ses inconvéniens, par l’expérience et les lumières de députés éprouvés dans les fonctions publiques. Pour que le contrepoids soit efficace, il faut que les fonctionnaires soient considérables à leur tour par la place où ils ont su monter dans la hiérarchie civile et militaire. Cette élévation,