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peut-être en effet trop rapide et trop peu ménagé. Toutefois, en rendant au pays l’usage de sa constitution, l’hospodar a pris ses précautions contre le danger des opinions trop indépendantes ; il a eu grand soin de changer de fond en comble la loi électorale, de manière à en obtenir un parlement composé d’hommes nouveaux, obscurs, pauvres, ou bien très riches, mais en même temps connus par une servilité mise à l’épreuve. Cependant, avec une chambre aussi docile, le prince Bibesco gouverne dans un sens libéral ; il fait voter par les députés de son choix des lois utiles pour la principauté. Quelle est la cause de ce changement ? La Russie, qui s’était compromise, et qui d’ailleurs, par les événemens de Cracovie, a éveillé la susceptibilité de l’Europe occidentale sur les questions de protectorat, se résigne à ralentir provisoirement son action pour paraître moins redoutable. Quant au prince Bibesco, il essaie d’expliquer lui-même son libéralisme d’aujourd’hui en rejetant la responsabilité de ses actes d’autrefois sur l’arrogance de la boyarie, et sur les difficultés qu’elle suscite incessamment à toute administration dans l’intérêt de ses propres privilèges. La vérité est que le prince Bibesco a du penchant pour les allures de dictateur, et qu’il tient à justifier le pouvoir absolu par sa conduite. Peut-être même commence-t-il à vouloir le bien du pays, à la condition d’avoir la liberté de le faire par lui seul ; car enfin il a aussi son intérêt personnel dans cette politique, l’intérêt de s’affermir sur le trône en abaissant ses rivaux et de fonder une dynastie. L’hérédité n’est-elle pas, au su de tout le monde, une de ses ambitions ? Quoi qu’il en soit, avant même de savoir si le prince Bibesco persévérera jusqu’à la fin dans cette voie meilleure, il est juste de le louer d’y être entré. La loi proposée par le prince et votée par l’assemblée pour l’affranchissement des esclaves du clergé exercera une influence utile sur l’honneur, et aussi sur le bien-être, sur la moralité des populations valaques. Lorsque les aventuriers connus plus tard sous le nom de bohémiens, cigans, zingares, vinrent de l’Asie s’établir en Europe vers la fin du moyen-âge, ils se fixèrent en grand nombre dans la Moldo-Valachie et y furent promptement réduits en esclavage. L’état, le clergé, les particuliers, quiconque avait un droit de possession eut des esclaves, et la domesticité dans les principautés fut tout entière alimentée par les zingares. Comme leur histoire l’apprend, c’était une population très vicieuse, et il arriva que cette race flétrie par l’esclavage descendit alors au plus profond degré de la corruption. C’était la plaie des familles et de la société ; mais cela ne déplaisait point aux princes fanariotes qui gouvernaient le pays pour les Turcs, et qui ne pouvaient s’y maintenir qu’en l’énervant de toutes les façons. Sitôt que les Moldo-Valaques, à la faveur des événemens intérieurs et extérieurs qui ont diminué si gravement la puissance ottomane, eurent retrouvé le sentiment de leur force et de leur nationalité, ils songèrent très sérieusement aux maux dont l’esclavage était pour eux la source, et, depuis 1832, l’affranchissement des zingares a été la préoccupation constante des hommes sincèrement dévoués au bien du pays. Dans les deux principautés, l’état a fait les premiers sacrifices ; il a donné la liberté à ses esclaves. Le clergé, très riche en esclaves, ne suivit pas cet exemple, et combattit formellement la mesure comme désastreuse pour l’église. Il céda pourtant en Moldavie devant le libéralisme toujours capricieux et quelquefois un peu brutal du prince Stourdza. Le prince Ghica fut moins heureux en Valachie ; il ne put l’emporter contre la puissante opposition des évêques et des mo-