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que ses livres ont souffert par l’usage. » Il me semble que ce second fait, que je maintiens authentique, est presque de la force du premier.

Méhémet-Ali a résolu un problème qui semblait insoluble. Il a supprimé la propriété et conservé l’impôt ; les terres prêtées par lui aux fellahs, à condition qu’il en réglera la culture et en achètera les produits à un taux arbitrairement fixé, ces terres sont imposées. Cet impôt foncier, nommé miri, forme plus du cinquième du budget égyptien, qui, en 1840, selon M. Bowring, dépassait cent millions. Cent millions ! c’est à peu près ce que l’Égypte rapportait aux Romains, et la population était alors quatre fois plus considérable.

Ce n’est pas le despotisme qu’on peut reprocher à Méhémet-Ali : depuis les Pharaons, l’Égypte n’a jamais connu un autre gouvernement. De plus, un pouvoir central très fort est une condition d’existence pour un pays qui ne peut subsister que par l’entretien des canaux et leur communication avec le Nil. Chez nous, l’état demande avec raison d’intervenir, plus qu’il ne le fait aujourd’hui, dans l’usage des cours d’eau ; en Égypte, l’irrigation c’est la vie. Je ne ferai donc pas à Méhémet-Ali un crime de son despotisme. Je ne m’étonnerai pas des sacrifices d’hommes et d’argent auxquels il a condamné l’Égypte. Méhémet-Ali n’est pas un sage ; c’est un ambitieux arrivé au pouvoir à force d’adresse et de talent. Il a voulu être grand, il a voulu compter dans le monde. Il lui fallait une flotte et une armée ; pour cette flotte, pour cette armée, beaucoup d’argent était nécessaire. Il a fait la guerre au sultan ; pour cette guerre, il avait besoin de beaucoup de soldats. Il n’a pas été scrupuleux sur les moyens d’avoir de l’argent et des soldats. Pouvait-on espérer qu’il le serait ? Le jour viendra, j’espère, où la guerre sera un sujet d’étonnement pour les hommes ; mais cette manière de voir, qui a tant de peine à prévaloir en Europe, pouvait-elle être adoptée par Méhémet-Ali ? Le rôle politique et militaire qu’il voulait jouer une fois admis, les conscriptions impitoyables, les impôts excessifs, en dérivent nécessairement. Seulement, en admettant cette logique fatale qui tire du mal le mal, de l’ambition la servitude et de la guerre l’oppression, on peut adresser, ce me semble, deux reproches à Méhémet-Ali, car on peut reprocher aux ambitieux et aux conquérans eux-mêmes de faire un mal inutile. Pourquoi, maintenant qu’il a dû renoncer à s’agrandir par les armes, maintenant qu’il n’a plus une marine à créer, pourquoi épuise-t-il toujours les populations avec une avidité désormais sans excuse ? Pourquoi surtout, et c’est là, selon moi, la plus grave des accusations qu’on doit intenter contre