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comme on le suppose, découragé parmi nous les travaux agricoles et réduit nos cultivateurs à déserter les champs. C’est seulement depuis que les restrictions sont en vigueur qu’on s’est préoccupé de ce danger chimérique : nul, jusqu’alors, ne l’avait soupçonné. C’est aussi depuis ce temps, et il est bon d’en faire la remarque, que la somme de nos importations en produits agricoles excède toujours d’une manière sensible la somme de nos exportations.

Sur quoi se fonde-t-on, après tout, pour justifier cette théorie ? On allègue d’abord que, la main-d’œuvre étant plus chère dans notre pays que dans quelques autres moins avancés, la Russie ou la Pologne, par exemple, il serait impossible à nos cultivateurs de livrer leurs denrées à des prix aussi bas que le font les cultivateurs polonais ou russes. On oublie que nos manufacturiers sont, à cet égard, dans des conditions pareilles, ce qui ne les empêche pas de dominer hautement les manufacturiers russes sur les marchés européens. D’où vient cette supériorité de notre industrie manufacturière ? De ce qu’on ne trouve en Russie ni le même talent dans les chefs, ni la même habileté et le même zèle dans les ouvriers qui les secondent. La main-d’œuvre est plus chère dans nos pays : mais aussi quelle différence dans la valeur ! Si l’on paie aux hommes des salaires plus élevés, on obtient d’eux, par compensation, de bien meilleurs services. Ce qui est vrai pour les manufacturiers ne l’est pas moins pour les cultivateurs. Croit-on, par hasard, que ces serfs russes, qui coûtent en apparence si peu aux seigneurs qui les emploient, mettent dans leurs travaux autant d’ardeur et d’intelligence, et rendent des services aussi utiles que nos ouvriers libres ? Il s’en faut de beaucoup. Aussi, entre les mains habiles de ces derniers, la terre produit-elle des fruits plus abondans avec un travail moindre, et le prix de revient en serait-il en somme moins élevé, si d’autres circonstances ne venaient altérer ces rapports. Que l’on ajoute à cela une meilleure direction de la culture, l’emploi de meilleurs procédés, des engrais plus abondans, des communications plus faciles et plus sûres, et l’on comprendra que l’avantage reste à tous égards à nos pays civilisés.

On allègue encore les charges que l’agriculture supporte en France et dont elle serait ailleurs exempte, l’impôt foncier perçu au nom de l’état et les centimes additionnels prélevés pour le compte des départemens et des communes. Que de plaintes n’a-t-on pas faites à ce sujet ! combien de fois les amis de l’agriculture ne se sont-ils pas récriés sur le poids du fardeau dont on l’accable ! En vérité, on ne comprendrait rien à ces plaintes, si l’on ne savait que la plupart des hommes ont l’habitude de s’arrêter aux apparences et de se payer de mots. Qu’on aille au fond des choses, et l’on verra que ces prétendues charges, dont on fait tant de bruit, sont plus apparentes que réelles, ou, pour mieux dire, qu’elles n’existent pas.