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Quant au principal de l’impôt, établi, comme il l’est en France, sur le revenu net des propriétés foncières, il n’affecte en rien, quoi qu’on en dise, ni le travail qui s’applique à la terre, ni la valeur vénale des produits du sol : il a pour unique conséquence de diminuer la part.que le propriétaire prélève à titre de rente, en faisant rentrer une portion de cette rente (environ le septième) dans le trésor public. A le bien prendre, l’impôt territorial n’est pas un impôt ; c’est une sorte de participation de l’état à la propriété du sol, ou du moins au revenu net qu’elle donne. Le cultivateur, en souffre-t-il ? En aucune façon, puisque la contribution qu’il paie à l’état, il la paierait à son propriétaire sous la forme d’une augmentation de fermage, si l’impôt n’existait pas. Ce qu’il verserait dans une seule main, dans celle du propriétaire en titre, il le partage entre ce propriétaire et l’état : voilà, quant à lui, toute la différence. Sa situation n’en est en réalité ni meilleure ni pire ; le prix de revient de ses produits n’en est pas le moins du monde altéré. Le propriétaire même est-il fondé à s’en plaindre ? Pas davantage ; pourvu que l’établissement de l’impôt soit antérieur, et c’est le cas actuel pour la France, à l’acquisition qu’il a faite de sa propriété. Dans cette hypothèse, en effet, il a connu, au moment de l’acquisition, les prélèvemens à faire pour le compte de l’état, et il a réglé son prix en conséquence. A quel titre pourrait-il ensuite réclamer ? On ne prend pas garde que tout homme qui achète un fonds de terre n’achète en réalité que le revenu net, tous frais et tous prélèvemens déduits : la portion de rente que l’état se réserve reste donc en dehors du marché. Dès-lors comment le propriétaire actuel prétendrait-il exercer des droits sur cette portion qu’il savait appartenir à l’état et qu’il n’a, point acquise ? En quel sens peut-on dire que les prélèvemens exercés se font à son détriment et qu’ils sont une charge pour lui ? Le fait est que l’impôt territorial, quand il existe de longue date et que la proportion en demeure invariable, n’est une charge pour personne. C’est un revenu acquis à l’état, sans aucun sacrifice pour les particuliers ; c’est une sorte de domaine public, domaine inaliénable et sacré, sur lequel nul n’a aucun droit. Diminuer le chiffre de cet impôt, ce ne serait pas, comme on le prétend, dégrever les propriétaires, alléger le poids du fardeau qu’ils portent, encore moins soulager l’agriculture ; ce serait tout simplement attribuer à ces mêmes propriétaires ce qui ne leur a jamais appartenu ; en d’autres termes, ce serait leur faire aux dépens de l’état un don gratuit[1].

  1. C’est ce qu’on fit sous le ministère Villèle, quand on opéra sur l’impôt foncier une réduction d’environ 19 millions. Cela s’appelait alors dégrever la propriété foncière, soulager l’agriculture : c’était, en réalité, faire aux propriétaires du sol un don gratuit, don qui pouvait être évalué approximativement à un milliard en capital. Les fermiers en profitèrent pendant quelque temps, c’est-à-dire jusqu’au renouvellement des baux. Ensuite les fermages s’élevèrent, et la valeur vénale des fonds s’accrut dans la même proportion. Ainsi le résultat final de cette mesure fut que les propriétaires du sol entrèrent, sans bourse délier, en possession d’une portion de rente qui ne leur avait jamais appartenu. Quant à l’agriculture, elle ne s’en trouva ni mieux ni plus mal qu’auparavant.