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de Perm, à l’ouest de l’Oural, sur une distance qui embrasse la moitié du cercle qu’on décrirait en faisant le tour de la planète à cette hauteur, des groupes de terrains diversement espacés, mais couvrant chacun une grande surface, présentent des dépôts aurifères. Cette zone, démesurément longue, a une largeur moyenne de 8 degrés de latitude ou de près de 900 kilomètres. La présence de l’or sur une pareille superficie est un des phénomènes les plus généraux qu’on puisse signaler sur notre globe. Elle répond au surplus à l’uniformité de configuration des régions du nord de l’Europe et de l’Asie qui, depuis le détroit de Behring, par lequel l’ancien et le nouveau continent sont séparés du côté de l’Orient, jusqu’à notre pays de Picardie, ne forment, pour ainsi dire, qu’une seule plaine.

Ce sont quelques points choisis sur ce grand espace qui, depuis une trentaine d’années, se sont mis à produire tant d’or qu’on n’y soupçonnait pas. Et cependant le père des historiens, Hérodote, avait positivement indiqué l’existence de beaucoup d’or dans ces contrées septentrionales qu’il appelait l’Europe orientale et que les modernes rangent dans l’Asie. C’est dans le nord de l’Europe, disait-il, que se trouve la plus grande abondance de l’or. Venait ensuite son récit des Arimaspes, qui enlèvent l’or aux griffons gardiens de ce métal et le transmettent par le trafic aux Issédons. La fable des griffons qu’Hérodote mêle à sa narration s’explique assez bien par les ossemens des grands quadrupèdes pareils aux éléphans et aux rhinocéros qu’on trouve bien conservés et en grand nombre dans les couches du sol, qui recouvrent les sables aurifères, et dans lesquels, aujourd’hui encore, selon ce que rapporte M. de Humboldt dans son récit sur l’Asie Centrale, les tribus indigènes, peuples chasseurs, croient reconnaître les griffes, le bec et même la tête entière d’un oiseau gigantesque. Ces peuples barbares trouvaient à la surface du sol de grosses pépites dont il y a de nombreux exemples, et les vendaient aux Issédons, qui les livraient aux Scythes, qui à d’autres ; nécessairement aussi ils avaient lavé des sables.

Voilà comment ce champ immense où s’exploite aujourd’hui, comme on va le voir, la majeure partie de l’or que reçoive la civilisation est exactement le même d’où l’antiquité presque la plus reculée retirait son approvisionnement de ce même métal. Il est remarquable que la connaissance de ce fait, si parfaitement propre cependant à tenir en éveil chez les peuples et chez les princes une des passions les plus vivaces et les plus infatigables, la soif des richesses métalliques, se fût effacée de la mémoire, des hommes, en dépit du soin que le plus classique des historiens avait pris de le consigner expressément dans ses écrits, et qu’il nous revienne par l’effet du hasard après un oubli de deux mille ans. Peu d’exemples pourraient donner une preuve plus convaincante de ce que notre nature a de léger, notre savoir de fugitif.