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première qui souffre en pareil cas, par ce double motif que cette marchandise n’est pas de garde, et que, la consommation en étant limitée de sa nature, ce qui reste, après que les besoins intérieurs sont satisfaits, ne trouve d’écoulement nulle part et devient un embarras véritable, quand le débouché extérieur lui fait défaut. Aussi voit-on que, partout où ce système est en vigueur, la production de cette denrée précieuse se réduit au strict nécessaire dans les années communes. De là une disette réelle au moindre déficit de la récolte. Si l’on suivait attentivement la ligne de ces idées, on s’expliquerait, par exemple, pourquoi l’on a vu en Angleterre les cultures de luxe se développer outre mesure, les espèces animales, et particulièrement l’espèce ovine, s’y multiplier sans terme, au point d’excéder toujours d’une manière sensible les limites ordinaires de la consommation, alors que les denrées nécessaires ne suffisaient pas même aux plus pressans besoins. On s’expliquerait aussi comment la France s’est vue affligée tant de fois, particulièrement dans les dernières années de la restauration, de ce double fléau, de ces deux maux en apparence contradictoires, une surabondance constante de vins et une disette presque aussi constante de céréales. On se rendrait compte enfin de tous ces désordres de la production, qui viennent tour à tour ruiner ou affamer nos populations malheureuses, désordres qu’on a coutume d’attribuer à l’imprévoyance des producteurs, et qui ne sont au fond que le résultat naturel des mauvaises lois.

Rien ne peut remplacer pour l’agriculture le débouché extérieur que le système restrictif lui ferme. On jugerait mal toutefois de l’étendue du dommage qu’elle en éprouve, si on le mesurait seulement sur l’importance du débit qu’elle y perd. Ce qui est encore plus grave pour elle, c’est le trouble porté dans ses relations, l’anéantissement du commerce général de ses produits, l’isolement où l’anéantissement de ce commerce la jette, et le régime étroit et mesquin auquel il la condamne. Si les relations étaient libres tant à l’importation qu’à l’exportation, une circulation active, incessante, aurait lieu du dehors au dedans et du dedans au dehors. Alors le commerce, un commerce régulier, interviendrait dans cette circulation. Les opérations se feraient en grand et d’une manière plus large, ce qui amènerait une grande simplification dans les rouages et une économie correspondante dans les frais. En outre, la vente serait plus assurée et plus facile pour les cultivateurs, que les commerçans débarrasseraient à l’occasion, et chaque producteur jouirait de l’immense avantage, qui vaut souvent mieux que l’élévation même des prix, de réaliser quand il voudrait. Au lieu de cela, quelle est, dans l’état présent des choses, la condition des producteurs ? Privés du débouché extérieur, ils sont forcés de se replier sur le marché local, auquel se borne ordinairement leur horizon.