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pour augmenter le nombre des lettres, l’administration des postes l’a fait. L’influence que devaient exercer sur le développement de la correspondance la régularité et la rapidité du service est aujourd’hui épuisée ; le pays et le trésor n’en ont plus rien à attendre. Sans doute l’exploitation des chemins de fer, qui rapproche, qui supprime en quelque sorte les distances, viendra modifier et modifie déjà le problème. Sur 86 millions de lettres qui ont circulé en 1845 de bureau à bureau, près de 45 millions n’ont pas franchi un rayon de 80 kilomètres, rayon qui représentait, avant l’ère des chemins de fer, la grande banlieue de Paris. Par l’usage de la vapeur, cette banlieue est déjà reportée sur quelques points et le sera bientôt sur tous à 250 ou 300 kilomètres. Avant peu d’années, il deviendra aussi facile d’entretenir des relations entre Dijon et Paris, entre Lille et Paris, entre Nevers et Paris, entre Paris et Nancy, entre Paris et le Hâvre, qu’il l’était, par les routes de terre, depuis 1829, de communiquer d’Orléans, de Fontainebleau, de Chartres, de Beauvais et de Château-Thierry avec la capitale. Les correspondances se multiplieront certainement au point de fournir dans le rayon de 80 à 300 kilomètres un nombre de lettres proportionnel à celui qui circule dans le rayon de 80 kilomètres, et les 30 millions de lettres qui circulent aujourd’hui entre 80 et 300 kilomètres s’élèveront sans difficulté à 125 millions.

Qui profitera de cet accroissement ? Sera-ce le trésor ? sera-ce plutôt la contrebande ? Si l’on réduit la taxe des lettres à un taux uniforme, s’il n’en coûte désormais pour écrire à 300 kilomètres que ce qu’il en coûte aujourd’hui pour écrire à 40 kilomètres, à savoir la modique somme de 20 centimes, le public n’aura pas intérêt à se servir d’une autre voie que la poste, qui lui donnera tout ensemble économie et sécurité ; mais si l’on conservait le tarif actuel, qui s’étend depuis 40 centimes jusqu’à 60 centimes par lettre simple, alors la fraude prendrait une extension considérable. Les négocians enverraient leurs lettres sous l’enveloppe des paquets ou articles de messagerie qu’ils feraient transporter par les chemins de fer. Les lettres adressées à des parens ou à des amis seraient transportées par des voyageurs qui les confieraient, en arrivant, à la petite poste, quand ils ne pourraient pas les remettre eux-mêmes. Le service de la petite poste ne tarderait pas à remplacer de fait et à annuler le service de bureau à bureau. M. Piron évaluait, en 1837, la fraude qui se commet sur le transport des lettres à 40 ou 45 millions ; si l’on conserve la taxe actuelle, le nombre des lettres circulant en contrebande égalera bientôt et dépassera peut-être le nombre des lettres transportées par la poste. La taxe uniforme, qui pouvait n’être, il y a quelques années, qu’une convenance, va devenir une nécessité absolue. L’administration des postes a dû embarquer ses malles sur les chemins de fer pour éviter que le transport des personnes ne primât celui des correspondances ;