Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en quelque sorte des frais fixes. Quand on a ainsi en perspective l’uniformité de la dépense, peut-on hésiter à rétablir l’uniformité et l’égalité de l’impôt ?

Outre la raison de justice distributive, l’administration en France est engagée, plus qu’elle ne croit, par des précédens nombreux et qui font autorité dans la circonstance. Non-seulement elle vend le tabac et la poudre à feu, malgré l’éloignement où peut se trouver le consommateur de l’atelier qui produit, le même prix à Brest qu’à Strasbourg, et à Bordeaux qu’à Lille ; mais, dans le service même des postes, pendant que l’on applique aux lettres un tarif gradué et excessif, on accorde un tarif uniforme, un tarif qui n’est pas rémunérateur, aux imprimés et aux journaux. Le même principe a été étendu aux articles d’argent, qui acquittent un droit uniforme pour toutes les distances. Pourquoi cette distinction entre la parole imprimée et la parole écrite ? De deux choses l’une : ou l’on croit que l’uniformité et le bon marché du tarif sont des avantages d’ordre public, et il faut en faire jouir les lettres ainsi que les journaux ; ou l’on pense que ce système est onéreux à l’état, qu’il a des inconvéniens sérieux dans la pratique, et, dans ce cas, il faut y renoncer pour les imprimés, quand on persiste à le repousser pour les lettres. La fixité de la taxe pour les journaux et la graduation de la taxe pour les lettres sont deux systèmes incompatibles, et qui ne pourraient pas, sans un véritable désordre, marcher côte à côte plus long-temps.

Allons droit à l’obstacle. Personne, à cette heure, ne conteste la nécessité de substituer au tarif actuel des lettres une taxe uniforme et modérée. On reconnaît que toutes les classes de la population y gagneraient. On ne dit plus que la taxe à 20 centimes serait établie au bénéfice exclusif des banquiers, qui, après tout, ne figurent dans le commerce de l’argent que comme les intermédiaires des petits capitalistes. On sait qu’il s’agit principalement de rétablir, au profit des classes laborieuses et des familles pauvres, cette faculté d’écrire, sur laquelle pèse une prohibition indirecte, mais réelle. On admet enfin que, si le trésor doit sacrifier à cette réforme une partie de son revenu, le sacrifice ne sera que temporaire, et que l’accroissement amené dans le nombre des correspondances par la modération de la taxe ne tardera pas à combler le vide qui se fera sentir dans les premiers résultats.

L’objection qui s’élève est celle-ci : une grande calamité, la disette des céréales, afflige le pays et jette le trouble dans les opérations du commerce et de l’industrie ; les dépenses de l’état, qui excédaient déjà le revenu public, tendent à s’accroître. Une situation pareille permet-elle au gouvernement et aux chambres d’accueillir une réforme qui retrancherait, ne fût-ce que pour la période la plus courte, quelque chose des ressources déjà insuffisantes du trésor ?