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peuvent être des illusions. C’est ce que je me répète toutes les fois que je compare les temps divers que j’ai traversés. Ce n’est pas seulement le spectacle qui change, c’est le spectateur, et Galilée marche pendant que la terre tourne.

Avec quelle rapidité le passé rentre dans la nuit ! A peine de ce côté de l’horizon historique, qui fut le levant pour nous, voit-on briller encore sur un fond obscur quelques points lumineux, quelques vagues lueurs ; l’ombre gagne, ou plutôt tout recule dans un lointain où rien, n’apparaît distinctement aux yeux de ceux qui sont venus après nous. Ne pourrait-on pas lever le voile qui leur dérobe ou leur assombrit tout, ce que nous voyons si clairement dans notre mémoire ? Ne pourrait-on pas, un moment encore, remettre le passé en pleine lumière, ou du moins ramener la pensée de tous au point d’où nous sommes partis, pour qu’elle refît avec nous la route que nous avons parcourue ? Essayons de revenir à nos premiers pas et de retracer le spectacle qui nous a frappés dès que nous avons commencé à ouvrir les yeux de l’esprit.

C’était dans ces jours remplis à la fois de douleur et d’espérance, où la France, succombant sans honte dans une lutte inégale, vit s’ouvrir pour elle un champ nouveau, heureuse, consolée du moins, si elle transportait à ses idées la puissance perdue par ses armes. Il me semble que la chute de l’empire clôt la seconde période de cette longue série d’événemens désignée sous le nom de révolution française, et que la restauration commence une période mémorable encore et qui paraît à peine finie ; car, après 1830, du moins dans les premières années, il ne s’est guère développé que les semences jetées en terre durant la restauration. L’ère de juillet nous trouva tels que nous avaient faits quinze ans d’un utile apprentissage ; mais, pour juger les effets, il faut connaître les causes ; il faut remonter à ce solennel moment où la France en deuil reçut comme par force la paix et même la liberté, deux grands biens achetés trop cher pour être d’abord estimés à leur prix. Il me semble que je vois encore l’aspect du monde tel qu’alors et pour la première fois il m’apparut. Je pourrais raconter une à une les sensations qui m’assaillirent, les idées qui s’éveillèrent en moi ; je retrouverais, empreints dans ma mémoire comme des pas sur la poudre d’un chemin, les vestiges de ma pensée ; et ce que je pensai, des milliers d’hommes le pensèrent comme moi. Je me tairais sur mes souvenirs, s’ils n’étaient ceux d’une génération tout entière. Vous tous qui n’avez guère plus que l’âge du siècle, dites, ne vous rappelez-vous pas bien vivement tout ce que vous avez senti, alors que, soumis à la plus rude épreuve, livrés en proie à des émotions bien diverses, combattus entre l’humiliation et l’orgueil, vous entendîtes, au bruit des clairons de l’ennemi, retentir quelques premiers mots de liberté ? Ne vous sembla-t-il