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et la physionomie de ses personnages. M. Petitot, loin de montrer pour la vérité la même déférence, s’est efforcé, autant qu’il était en lui, de supprimer tout ce qui pouvait convenir à la statuaire. Ainsi, par exemple, s’il eût voulu consulter les épisodes naïfs et touchans que nous devons à M. Schnetz, il aurait appris que les paysans calabrais ont les jambes nues, et il eût ainsi trouvé l’occasion de modeler la chair au lieu de modeler l’étoffe. Quelle étrange fantaisie a-t-il substituée à la réalité ? Au lieu de nous montrer les jambes nues de ses personnages, il les a couvertes de haillons qui déguisent la forme et réduisent à rien la tâche du statuaire ; et, non content de cette déplorable substitution, il a multiplié à plaisir les déchirures du manteau pour se donner la gloire d’imiter les coutures grossières, les pièces rapportées, les reprises maladroites. Belle gloire, vraiment, et bien digne d’envie ! Conçoit-on qu’un statuaire perde son temps à imiter ce qui serait tout au plus à sa place dans un tableau de genre ? conçoit-on qu’il fouille le marbre pour reproduire tous ces détails mesquins, et que les proportions de la nature ne lui suffisent pas pour traiter un pareil sujet ? Si M. Petitot, comme je le disais tout à l’heure, comprenant toute la simplicité, toute la naïveté de la scène qu’il voulait reproduire, eût donné à la physionomie de ses personnages l’expression fervente et pieuse que nous avions le droit d’attendre, s’il eût copié fidèlement le costume calabrais, si l’attitude des acteurs eût été d’accord avec leur physionomie, si enfin l’image de la madone eût expliqué la scène, une telle composition aurait certainement attiré les regards. Le groupe que nous avons sous les yeux est tellement vulgaire, le sujet s’explique si mal, il y a si peu de piété, si peu de ferveur sur ces deux visages, que l’esprit se lasse bien vite et renonce à deviner ce que l’auteur a voulu dire. L’exécution est laborieuse sans être précise. Je suis très disposé à croire que M. Petitot a fait tout ce qu’il pouvait faire, et n’a rien négligé pour reproduire la réalité telle qu’il la concevait. Malheureusement il ne l’a pas conçue telle qu’elle est, et son œuvre est absolument dépourvue d’intérêt.

Je crains que M. Daniel n’ait pas assez consulté ses forces en choisissant dans Plutarque un sujet aussi difficile que la mort de Cléopâtre. Les lignes mêmes qu’il a transcrites et qui sont tirées de la vie d’Antoine renferment la condamnation la plus formelle de la statue qu’il nous donne. « Elle n’eut pas plutôt ôté les feuilles qui couvraient le panier qu’elle aperçut le serpent ; elle jeta un grand cri, et présenta son bras à sa piqûre. » Or, dans la figure que M. Daniel appelle Cléopâtre, rien ne révèle le désespoir, rien n’exprime la résolution de mourir. Non-seulement le visage de cette femme n’exprime pas l’effroi, non-seulement sa bouche ne crie pas, mais le mouvement du corps tout entier est celui d’une femme qui ne songe qu’au repos, qui n’a d’autre