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cette urbanité des relations, ces habitudes de dignité et de tenue qui donneraient au talent plus d’autorité et plus de grace. Le moment ne serait-il pas propice aux tentatives de ce genre ? Il faut bien l’avouer, nous sommes arrivés à un de ces temps d’arrêt qui discréditent à la fois les nouvelles promesses et les nouvelles théories, en nous permettant de reconnaître le vide des théories et des promesses passées. Peu de siècles ont eu plus que le nôtre, des adolescens de génie ; mais bien peu de ces génies ; juvéniles sont arrivés à cette virilité forte et complète ; qui donne à la gloire d’une œuvre et d’un nom une consécration décisive. Il y a eu des jours de lutte et d’éclat, de bruit et d’espérance ; y a-t-il, eu une victoire ? Parmi les combattans, quelques-uns, plus heureux ou mieux avisés, se sont détachés du gros de l’armée pour se faire isolément leur petit fief, leur Yvetot où ils règnent en maîtres ; mais dans le fait l’anarchie est partout et l’autorité nulle part. Il ne s’agit donc plus maintenant de présenter des systèmes, de discipliner l’art, au nom de ces théories exclusives et magistrales qui sont tour à tour des chartes, des traités de paix et des déclarations de guerre ; il s’agit de ramener à un milieu de tolérances polies et de concessions, délicates les vainqueurs, s’il y en a, et les vaincus, s’il en reste. Des aperçus plutôt que des doctrines, des impressions plutôt que des jugemens, c’est là ce que les lecteurs spirituels et désabusés demanderont désormais à la critique ; c’est là, ce que je voudrais essayer aujourd’hui.

Le drame de M. Jules Barbier, joué au Théâtre-Français sous ce titre vague et séduisant : Un Poète est justement un de ces ouvrages qu’il convient de juger d’après les enseignemens de la vie pratique : l’auteur est très jeune, tout le monde l’a dit, et son drame le dit mieux que tout le monde. Une jeunesse sincère y déborde de toutes parts, et avec tant d’enthousiasme et d’ardeur qu’elle croit nouveau tout ce qu’elle éprouve : heureux âge où la naïveté même des imitations forme une sorte d’originalité pleine de candeur et de grace !

Le héros de M. Barbier s’appelle Richard : il a vingt ans, il est pauvre, il est poète, il est amoureux, il est aimé. Le front serein, l’œil rayonnant, la tête haute et le pas dégagé, tel est Richard au seuil de la vie. A lui cet univers si beau, ce ciel si pur, ces rayons si doux, toutes ces poésies de la nature qui se reflètent dans ses premiers vers comme dans une onde fraîche et transparente ! à lui cette jeune fille qui vient à sa rencontre avec tant de confiance et un si chaste abandon ! Que lui font, à cet heureux rêveur, la réalité, l’indigence, les lois sociales, les entraves matérielles, les perfidies d’une fausse amitié, le poignard qui reluit dans l’ombre ? L’étoile des amoureux et des poètes le guide vers sa bien-aimée. Qu’elle est charmante, cette Laetice, Laetitia, la joie du cœur et des regards ! Juliette à son balcon, Barberine dans sa tourelle, Kitty Bell à son comptoir, n’ont pas plus de fraîcheur idéale ! Si Roméo lui disait : « Voilà l’alouette qui chante, » je suis sûr qu’elle répondrait. : « C’est le rossignol. »

Mais le mélodrame (hélas ! pourquoi faut-il qu’il intervienne dans une si douce, élégie ?), le mélodrame, en costume de dandy, moitié civilisé, moitié sauvage, en a disposé autrement. Il a besoin de cette aimable Laetice pour être, quoi ? — vous ne le devineriez jamais, — pour être président d’une république mexicaine. Hélas ! oui, Lœtice, le poétique amour de Richard, n’est aux yeux de cet affreux dandy mexicain qu’une grosse dot au moyen de laquelle il deviendra le maître d’un certain nombre de nègres et de mulâtres. Il emmène donc la