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s’ouvrir aux environs ; — j’avouerai pourtant que cette musique primitive et biblique ne manque pas de charme quelquefois pour qui sait se mettre au-dessus des préjugés du solfège.

En rentrant, je trouvai mon hôte maronite et toute sa famille qui m’attendaient sur la terrasse attenante à mon logement. Ces braves gens croient vous faire honneur en amenant tous leurs parens et leurs amis chez vous. Il fallut leur faire servir du café et distribuer des pipes, ce dont, au reste, se chargeaient la maîtresse et les filles de la maison, aux frais naturellement du locataire. — Quelques phrases mélangées d’italien, de grec et d’arabe défrayaient assez péniblement la conversation. Je n’osais pas dire que, n’ayant point dormi dans la journée et devant partir à l’aube du jour suivant, j’aurais aimé à regagner mon lit ; mais, après tout, la douceur de la nuit, le ciel étoilé, la mer étalant à nos pieds ses nuances de bleu nocturne blanchies çà et là par le reflet des astres, me faisaient supporter assez bien l’ennui de cette réception. Ces bonnes gens me firent enfin leurs adieux, car je devais partir avant leur réveil, et, en effet, j’eus à peine le temps de dormir trois heures d’un sommeil interrompu par le chant des coqs. En m’éveillant, je trouvai le jeune Moussa assis devant ma porte sur le rebord de la terrasse. Le cheval qu’il avait amené stationnait au bas du perron, ayant un pied replié sous le ventre au moyen d’une corde, ce qui est la manière arabe de faire tenir en place les chevaux. Il ne me restait plus qu’à m’emboîter dans une de ces selles hautes à la mode turque, qui vous pressent comme un étau et rendent la chute presque impossible. De larges étriers de cuivre en forme de pelle à feu sont attachés si haut, qu’on a les jambes pliées en deux ; les coins tranchans servent à piquer le cheval. Le prince sourit un peu de mon embarras à prendre les allures d’un cavalier arabe, et me donna quelques conseils. C’était un jeune homme d’une physionomie franche et ouverte, dont l’accueil m’avait séduit tout d’abord ; il s’appelait Abou-Miran, et appartenait à une branche de la famille des Hobeïsch, la plus illustre du Kesrouan. Sans être des plus riches, il avait autorité sur une dizaine de villages composant un district, et en rendait les redevances au pacha de Tripoli. — Tout le monde étant prêt, nous descendîmes jusqu’à la route qui côtoie le rivage, et qui, ailleurs qu’en Orient, passerait pour un simple ravin. Au bout d’une lieue environ, on me montra la grotte d’où sortit le fameux dragon qui était prêt à dévorer la fille du roi de Beyrouth, lorsque saint George le perça de sa lance. — Ce lieu est très révéré par les Grecs et par les Turcs eux-mêmes, qui ont construit une petite mosquée à l’endroit même où eut lieu le combat.

Tous les chevaux syriens sont dressés à marcher à l’amble, ce qui rend leur trot fort doux. J’admirais la sûreté de leur pas à travers les pierres roulantes, les granits tranchans et les roches polies que l’on