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qui fait partie du pachalick de Tripoli, a conservé ses armes ; il faut donc aller soutenir des frères sans défense, il faut passer le Nahr-el-Kelb, qui est la limite des deux pays, véritable Rubicon, qui n’est franchi que dans des circonstances graves. Les montagnards armés se pressaient impatiemment autour du village et dans les prairies. Des cavaliers parcouraient les localités voisines en jetant le vieux cri de guerre : « Zèle de Dieu ! zèle des combats ! » - Le prince me prit à part et me dit : « Je ne sais ce que c’est, les rapports qu’on nous fait sont exagérés peut-être, mais nous allons toujours nous tenir prêts à secourir nos voisins. Le secours des pachas arrive toujours quand le mal est fait… Vous feriez bien, quant à vous, de vous rendre au couvent d’Antoura ou de regagner Beyrouth par la mer. — Non, lui dis-je, laissez-moi vous accompagner. Ayant eu le malheur de naître dans une époque peu guerrière, je n’ai encore vu de combats que dans l’intérieur de nos villes d’Europe, et de tristes combats, je vous jure ! Nos montagnes, à nous, étaient des groupes de maisons, et nos vallées des places et des rues ! Que je puisse assister, dans ma vie, à une lutte un peu grandiose, à une guerre religieuse. Il serait si beau de mourir pour la cause que vous défendez ! »

Je disais, je pensais ces choses ; l’enthousiasme environnant m’avait gagné ; -je passai la nuit suivante à rêver des exploits qui nécessairement m’ouvraient les plus hautes destinées. — Au point du jour, quand le prince monta à cheval, dans la cour, avec ses hommes, je me disposais à en faire autant ; mais le jeune Moussa s’opposa résolûment à ce que je me servisse du cheval qui m’avait été loué à Beyrouth : il était chargé de le ramener vivant, et craignait avec raison les chances d’une expédition guerrière. Je compris la justesse de sa réclamation, et j’acceptai un des chevaux du prince. — Nous passâmes enfin la rivière, étant tout au plus une douzaine de cavaliers sur peut-être trois cents hommes.

Après quatre heures de marche, on s’arrêta près du couvent de Mar-Hanna, où beaucoup de montagnards vinrent encore nous rejoindre. Les moines basiliens nous donnèrent à déjeuner ; mais, selon eux, il fallait attendre : rien n’annonçait que les Druses eussent envahi le district. Cependant les nouveaux arrivés exprimaient un avis contraire, et l’on résolut d’avancer encore. Nous avions laissé les chevaux pour couper au court à travers les bois, et, vers le soir, après quelques alertes, nous entendîmes des coups de fusil répercutés par les rochers. Je m’étais séparé du prince en gravissant une côte pour arriver à un village qu’on apercevait au-dessus des arbres, et je me trouvai avec quelques hommes au bas d’un escalier de terrasses cultivées ; — plusieurs d’entre eux semblèrent se concerter, puis ils se mirent à attaquer la haie de cactus qui