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près de Jean III, qui releva l’université de Coïmbre et lança ses vaisseaux jusqu’au Japon. Sébastien, qui, percé de coups et abandonné sur le champ de bataille, fut reconnu par un de ses pages aux marques nombreuses dont son corps, selon le témoignage d’un écrivain du temps, était en quelque sorte constellé[1], a près de lui le vieux cardinal-roi, dont les mains débiles laissèrent tomber dans celles plus fermes de Philippe II le sceptre de Portugal.

La tour marque la limite du mouillage des vaisseaux ; le monastère et son église, la pointe extrême du village de Bélem, que Lisbonne peut revendiquer comme un de ses faubourgs. Pressée entre des collines arides et le Tage, la grande cité devait s’étendre et se prolonger dans la direction de la route que suivaient les flottes, et aller au-devant de la mer. Le petit palais d’été bâti à Bélem même, loin des bruits du port et de l’agitation des arsenaux, ne fut guère dépassé par la file de constructions élégantes qui forment le village, et qu’on dirait échelonnées comme des courtisans sur le passage de la cour. L’étranger qui, arrivant du large, vient d’admirer l’ensemble des trois édifices gothiques, n’a plus qu’un sourire pour cette maison de plaisance mesquine d’aspect, composée de bâtimens irréguliers, embarrassée de terrasses où s’étalent, sous les ciseaux du jardinier, de tristes charmilles semblables à des paravens ; mais la couronne de Portugal n’est-elle pas désormais réduite aux humbles proportions du palais où s’abritent ses rois ? Jean VI, qui devait, hélas ! abandonner son royaume envahi et s’enfuir en Amérique ; Jean VI, que l’affection de ses sujets ne put empêcher d’être le plus malheureux des princes et le plus affligé des hommes, prodigua vainement les trésors du Brésil dans l’exécution d’un plan conçu trop tard : au-dessus du palais de Bélem, trop petit à son gré, il commença à bâtir celui d’Ajuda, qui ne s’achèvera jamais. Ce Louvre, entrepris sur une échelle démesurée, semble déjà une ruine ; ses murs blancs, qu’aucun ombrage n’entoure, se détachent à cru sur un ciel ardent, tristes comme toute grande pensée trahie dans sa réalisation ; on y sent l’effort paralysé d’une dynastie qui s’affaisse ; on croit voir un tombeau.

Ainsi, au bord même de l’Océan, ce peuple croyant et guerrier se révèle sous son double aspect ; le passé du Portugal est écrit là en caractères ineffaçables. Nous sommes sur le fleuve : voici que se déroulent des entassemens de palais et de maisons qui ne sont pas sans beauté, vus du large. Pas de quais, des terrasses, quelques jardins où l’on distingue

  1. L’épitaphe qui se lit auprès de la sépulture de ce roi prouverait que les portugais ont conservé des doutes sur l’identité du corps recueilli par le page Resende ; elle est ainsi conçue :
    Hic jacet in tumulo, si vera est fama, Sebastus,
    Quem dicunt Lybicis occubuisse plagis.