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les Français, qui avaient les premiers cherché à lutter contre cette malpropreté traditionnelle, beaucoup de mesures ont été prises pour le nettoiement des rues, et il ajoutera : Ayez patience !

Dans ces tristes ruelles, quel dénûment, quelle misère ! Le pauvre en Espagne est fier et heureux à sa façon ; le bohémien de Grenade chante et danse au fond des grottes qu’il s’est creusées dans les rochers de l’ Albaycin, où la police n’ose le relancer : le vagabond de Séville ou de Cadix mène cette joyeuse vie des faubourgs que Cervantes a poétisée dans la nouvelle de Rinconete et Cortadillo ; le pauvre de Lisbonne se résigne à sa condition. Dans une ville où le travail manque, que fera-t-il ? Cette famille qui pullule autour de lui, elle croîtra dans l’ignorance de toute chose, condamnée à la paresse, acceptant la mendicité comme une profession. Dans les églises, dans les magasins, dans les escaliers des maisons, le mendiant de tout âge vous aborde et vous suit ; il frappe à votre porte, il vous appelle à la fenêtre, il vous barre le passage, il est partout. Cette population dégradée par la misère n’a plus de type ; c’est une race abâtardie qui s’est mêlée par la conquête aux races inférieures des quatre parties du monde ; malheureusement la santé publique dans cette classe abandonnée a subi une altération analogue. Il faut aller sur la côte de Malabar, au Para, à Angola, pour trouver le germe des difformités hideuses, des monstrueuses maladies que le mendiant de Lisbonne étale à tous les regards.

Outre ces individus voués à la mendicité de père en fils, il y en a d’autres, en gand nombre, qui tendent la main par circonstance. On dirait que le Portugais ne sent point la bassesse d’une pareille démarche. Celui-ci se présente sous la forme d’un officier décoré mis à la retraite, celui-là sous celle d’un employé de bureau destitué dans une révolution. Ils vous abordent poliment et vous demandent l’aumône sans périphrase. Si vous exhortez ces oisifs à gagner par un moyen plus honorable le pain qui leur manque, ils vous répondront qu’ils ne sont point faits pour un autre travail, et, cela dit, ils continuent leur promenade la canne sous le bras. Ceci prouverait que le sentiment d’amour-propre, de dignité personnelle, si vif en Espagne, fait défaut en Portugal, et il faudrait en conclure que les classes inférieures de la société, du moins dans la capitale, tendront à s’abaisser jusqu’à ce que l’industrie, les appelant dans des ateliers et les conviant à des destinées meilleures, leur apprenne que le plus chétif citoyen peut rendre des services à la patrie. À Lisbonne, une famille qui tombe dans le besoin n’a presque plus d’espérance de se relever ; l’enfant y manque d’enseignement et l’adolescent de carrière. Il est à remarquer aussi que les nègres, si nombreux dans cette capitale, savent pour la plupart employer leurs bras : nés de pères esclaves, transportés en Europe au milieu