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Mais le chanoine Escoïquitz, toujours sous le charme, ne fut saisi que par le côté bienveillant et amical du message impérial, et fut d’avis que le prince devait, sans plus tarder, se rendre à Bayonne. Nonobstant ce conseil, Ferdinand hésitait : il s’étonnait et s’affligeait que l’empereur ne lui eût pas donné dans sa lettre le titre de majesté. Le général Savary s’appliqua une dernière fois à le rassurer : il lui dit que son souverain n’avait pu le qualifier autrement que d’altesse royale, parce qu’enfin il ne l’avait pas encore reconnu, qu’il y avait bien des points sur lesquels il était plus important de s’entendre que sur celui-là, mais qu’une fois ces points réglés, il n’hésiterait pas à le qualifier de majesté. Ces paroles décidèrent enfin le prince, qui donna les ordres de départ. A la vue des voitures qui vont emmener son roi, le peuple, dont le jugement droit et simple n’est point obscurci par les sophismes de l’esprit, est tout à coup saisi d’une anxiété inexprimable. Un grand tumulte s’élève, la foule se presse autour des voitures. Soudain un homme d’une figure farouche s’élance, et, d’un trait de serpe, coupe les traits des mules. Le peuple applaudit à cet acte audacieux par des cris frénétiques ; mais Ferdinand était déterminé à partir : il fit ratteler les mules, se jeta dans sa voiture, non sans ressentir un grand trouble, et s’avança vers cette France où, au lieu d’un allié et d’un protecteur, il allait trouver un ennemi, l’exil et la prison.

Le prince arriva le 20 avril, à dix heures du matin, à Bayonne. L’empereur habitait le château de Marac, situé à une petite distance de la ville. On dit que, lorsqu’on vint lui apprendre que Ferdinand s’approchait, il ne put réprimer cette exclamation : « Comment ! il vient ; cela est impossible ! » Il monta aussitôt à cheval et alla lui rendre visite. Les deux princes s’embrassèrent avec tous les témoignages de la plus sincère cordialité. Après une entrevue fort courte, l’empereur retourna au château de Marac et envoya prier Ferdinand, son frère don Carlos et leur suite, à dîner. A six heures, les voitures impériales allèrent chercher les princes. Au moment où elles rentrèrent dans la cour du château, Napoléon sortit de ses appartemens, vint recevoir lui-même Ferdinand à la descente de sa voiture, le prit par la main et le conduisit dans son salon. L’étiquette ne commandait rigoureusement ces démonstrations qu’à l’égard d’une tête couronnée. Elles comblèrent de joie Ferdinand, qui crut y voir l’indice que l’empereur allait le reconnaître ; mais, pendant le dîner, Napoléon, tout en traitant le prince avec une courtoisie recherchée, affecta d’éviter les occasions de qualifier son titre. Ferdinand et son frère don Carlos n’en quittèrent pas moins le château de Marac, radieux et pleins d’espoir. Leur illusion fut de courte durée.

L’empereur avait retenu près de lui le chanoine Escoïquitz. Quand les princes furent partis, il l’emmena dans son cabinet, et eut avec lui