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ne recevra aucune indemnité. » Cette déclaration arracha au chanoine une exclamation de douleur. « Sire, lui dit-il, la résolution de votre majesté m’affecte d’autant plus qu’outre le malheur de mon roi et de ma patrie, j’aurai à gémir sur la perte de la réputation de ceux qui étaient avec moi auprès du roi lorsqu’il s’est décidé à venir à Bayonne. On nous considérera comme les auteurs de cette fatale détermination moi surtout, je serai particulièrement blâmé. — Rassurez-vous, chanoine, lui répondit l’empereur ; ni vous ni les autres n’aurez raison de vous affliger : vous ne pouviez deviner mes intentions que personne ne connaissait. »

Le général Savary, le même qui, si peu de jours auparavant, faisait espérer à Ferdinand que son souverain le reconnaîtrait roi, vint lui signifier que l’empereur Napoléon avait irrévocablement résolu de renverser les Bourbons d’Espagne et de leur substituer un prince de sa propre famille, qu’en conséquence sa majesté impériale exigeait que le prince des Asturies, tant en son nom qu’en celui de toute sa famille, renonçât à la couronne d’Espagne et des Indes en faveur d’un frère de l’empereur. Comment Napoléon, qui avait à un si haut degré le sentiment des nobles et grandes choses, a-t-il pu soumettre à une pareille épreuve le dévouement d’un homme qui déjà ne l’avait que trop bien servi ? On eût dit que le maître et le serviteur avaient voulu montrer jusqu’où ils pouvaient porter, l’un l’excès de ses exigences, l’autre l’excès de son abnégation.

Le 21 avril et les jours suivans, l’empereur fit appeler ensemble ou séparément don Pedro Cevallos, les ducs de l’Infantado et de San-Carlos, et leur exposa les mêmes idées qu’au chanoine Escoïquitz. Tous reproduisirent, sous d’autres formes, les mêmes argumens que l’abbé, et tentèrent vainement de le faire renoncer à ses résolutions.

M. de Champagny intervint aussi dans ces négociations, et il eut de fréquentes conférences avec tous les conseillers de Ferdinand, notamment avec MM. de Cevallos et de Labrador. M. de Cevallos, qui, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, se trouvait plus compromis que tous les autres, tint à M. de Champagny un langage plein de hauteur et de véhémence. « Quelle confiance, dit-il, l’Europe pourra-t-elle mettre dans ses traités avec la France, quand elle verra avec quelle perfidie celui du 27 octobre a été violé ? De quelle terreur ne sera-t-elle pas frappée en considérant les artifices, les trompeuses promesses, les séductions de tous genres, que l’empereur a mis en usage pour attirer le roi à Bayonne et le dépouiller de sa couronne ! » Il avait à peine achevé ces mots, que l’empereur, qui avait tout entendu, ouvrit impétueusement la porte de son cabinet, et, apostrophant M. de Cevallos, le qualifia de traître, parce qu’ayant été ministre de Charles IV, il avait accepté les mêmes fonctions sous Ferdinand. C’est à la suite de cette conférence orageuse que M. de Champagny soumit, dans les formes