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diminutif et le précurseur ; un abbé de Saint-Pierre, qui ne cessait d’appeler Louis XIV un grand enfant et de réclamer contre la manière dont il avait gouverné la France ; un Vauban, qui trouvait l’administration défectueuse et inhumaine. La critique allait suivre de près l’admiration ; elle n’attendait que la mort du roi pour s’exercer à la fois dans le champ de la religion, dans celui de la politique, dans celui de l’économie sociale. A peine Louis XIV est-il enfermé dans sa dernière demeure à Saint-Denis, que la critique se donne en effet libre carrière. Déjà le père Le Tellier, naguère si redoutable, est en exil, et Mme de Maintenon déchue pour toujours ; déjà la cour a quitté le masque de religion qu’elle avait long-temps porté ; déjà on se presse à la Bibliothèque pour s’arracher les œuvres de Bayle, et, si l’on va au sermon, c’est pour écouter Massillon disant d’une voix solennelle : « Toute puissance vient de Dieu et n’est établie que pour l’utilité des hommes. Les grands seraient inutiles sur la terre s’il ne s’y trouvait des pauvres et des malheureux ; ils ne doivent leur élévation qu’aux besoins publics, et, loin que les peuples soient faits pour eux, ils ne sont eux-mêmes tout ce qu’ils sont que pour les peuples… Ce sont les peuples tout seuls qui donnent aux grands le droit qu’ils ont d’approcher du trône, et c’est pour les peuples tout seuls que le trône lui-même est élevé. En un mot, et les grands et les princes ne sont pour ainsi dire que les hommes du peuple. » - Paroles démocratiques s’il en fut !

Ce qu’il y a de plus intéressant à étudier sous la régence, ce n’est pas le caractère du régent, quoiqu’il soit extrêmement significatif, de cet homme qui, chose remarquable, se crut obligé, pour plaire au public, de renoncer ouvertement à toutes les habitudes et à toutes les traditions du règne précédent, fut libertin et irréligieux avec le public, familier avec lui, mais se trompa sur presque toutes les nécessités de la situation, méconnut la véritable politique à l’extérieur, et finit au dedans par jeter un commencement de discrédit sur le pouvoir, en prince qui ne savait pas se respecter et n’ajoutait plus de foi qu’à la maxime divide et impera. Ce n’est pas là, dis-je, l’objet le plus intéressant à étudier, c’est l’essai que l’on fit du système de Law, « cet étranger doué d’infiniment d’esprit, possédant une élocution facile et entraînante, avec le talent de répandre de la clarté sur les calculs arides de la finance, et de donner à ses plans une apparence de raison et une probabilité de succès. » Assurément M. de Tocqueville, à qui nous empruntons ces paroles, n’est pas un ennemi de Law, et cependant nous nous croyons en droit de lui reprocher de n’avoir pas attribué à son système toute l’importance qu’il a eue, et, puisque nous nous attachons surtout ici à faire ressortir les ébranlemens les plus considérables qu’ait subis l’opinion, nous devons quelque attention à l’homme qui disait, sous un régime où l’aristocratie avait encore une bien grande puissance : « L’argent n’est à vous que par le titre que vous donne le droit de l’appeler et de le faire passer par vos mains pour satisfaire à vos besoins et à vos désirs ; hors ce cas, l’usage en appartient à vos concitoyens, et vous ne pouvez les en frustrer sans commettre une injustice et un crime d’état. » Depuis le jour où Luther avait proclamé que le pape était l’antéchrist, il ne s’était rien dit de si révolutionnaire que ces mots de Law. Qu’on y prenne garde, et l’on y lira en lettres de feu la ruine de la vieille aristocratie, la ruine de la glèbe, la ruine des préjugés qu’avait jadis importés la conquête et qu’avait trop souvent consacrés la religion, la réhabilitation complète du travail, enfin l’inauguration du régime industriel et social que