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Quoi de plus remarquable que cette rapidité du mouvement intellectuel ! quoi de plus irrésistible ! En ne se circonscrivant plus dans l’arène où se débattaient les querelles religieuses et parlementaires, il ôtait à l’autorité tout espoir de lui faire jamais sa mesure. Est-ce à dire qu’il y ait lieu de regretter, comme plusieurs l’ont prétendu, que les choses se soient passées ainsi ? Assurément non, car il est hors de doute que, si les jansénistes et les parlemens eussent été les véritables champions du progrès en France, notre révolution, bien loin de revêtir le caractère de rationalisme et d’universalité qui la distingue, ne se fût pas même élevée à la hauteur de celle d’Angleterre sous Charles Ier. Les jansénistes étaient des esprits sévères et intolérans que ne pouvaient contenter ni la morale amollie ni les accommodemens et adoucissemens inventés par les jésuites. Il est remarquable cependant que, par un rigorisme qui écrasait les intelligences sous le poids d’une déchéance irrévocable, ils arrivaient à la négation de la liberté humaine, c’est-à-dire au même point où arrivaient les jésuites par une route opposée. Ils étaient intolérans par fanatisme, comme les derniers l’étaient par ardeur de prosélytisme et par ambition ; et M. de Tocqueville, qui approuve peu leurs maximes, nous accordera qu’il y avait loin de ces continuateurs d’Arnaud et du père Quesnel à ces puritains dont son fils nous a fait un portrait si saisissant dans son bel ouvrage sur la démocratie américaine. Ils avaient le mérite, j’en conviens, de comprendre que, dans la religion catholique, trop souvent la forme emporte le fond, que les jésuites exagéraient encore cette tendance, et qu’il était de leur devoir d’y mettre obstacle. Ils se retranchaient en outre dans cette classe moyenne qui, sous Louis XV, sut rester sans tache ; mais leur mérite n’allait pas beaucoup au-delà. D’ailleurs, ils s’étaient bien amoindris eux-mêmes depuis les beaux jours de Port-Royal. Enfin les convulsions de Saint-Médard achevèrent de les discréditer aux yeux des gens qui voyaient plus loin qu’eux, et il est digne d’observation que l’on peut parcourir tout Voltaire, sans y trouver une seule fois l’explication raisonnée de ce qu’était la fameuse querelle des jésuites et des jansénistes qu’il mentionne si souvent. C’est que Voltaire ne pouvait prendre cette querelle au sérieux, et la plupart de ses contemporains finirent en cela par lui ressembler.

S’il n’appartenait pas aux jansénistes de ramener l’église à ses devoirs, le parlement non plus n’était pas digne de faire la révolution, et ce n’est pas lui qui la fit. Il y avait chez lui plus de taquinerie que de résolution, plus de vanité que de grandeur. Son rôle fut manqué. Gardien entêté des précédens et des vieilles formes, il ne voulait pas entendre parler de l’égalité des impôts, ni d’autres nouveautés aussi légitimes. Il suffisait de l’écarter de la scène pour qu’il sacrifiât ses opinions les plus chères au désir d’y reparaître. De grandes convictions inspirent une plus grande conduite.

Penser que le mouvement des esprits pouvait être arrêté de force, c’était une folie ; qu’il pouvait être contenu par le respect des traditions et des vieux principes, c’était un espoir auquel il fallut de bonne heure renoncer ; qu’il pouvait être circonscrit dans la limite des querelles parlementaires, c’était un calcul qui fut déjoué en peu d’instans ; qu’il pouvait être à la rigueur dirigé par les jansénistes et les magistrats, c’était un vœu peut-être stérile et à coup sûr bien difficile à réaliser. L’influence même de l’Angleterre, si réelle et si grande qu’elle fût, devait être dépassée par l’influence de notre philosophie, et cela à tel point, qu’en 1791 l’Angleterre était presque aussi épouvantée que le reste de l’Europe