Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lépero est un des types les plus bizarres de la société mexicaines Celui surtout qui a pu voir Mexico non-seulement livrée à cette agitation joyeuse qui précède l’oracion, mais plongée dans le silence sinistre que la nuit ramène, celui-là peut seul dire ce qu’il y a de redoutable et de singulier dans le caractère de ce lazzarone mexicain. A la fois brave et poltron, calme et violent, fanatique et incrédule, ne croyant à Dieu que juste pour avoir du diable une terreur salutaire, joueur éternel, querelleur par caractère, voleur par instinct, d’une sobriété qui n’a d’égale que son intempérance, le lépero sait accommoder sa paresse comme son humeur à toutes les fortunes. Tour à tour porte-faix, maçon, conducteur de chevaux, paveur de rues, commerçant, le lépero est partout. Il exerce partout sa profession préférée, aux églises, aux processions, aux spectacles, et toujours au détriment des assistans ; aussi sa vie n’est-elle qu’un long démêlé avec la justice, qui n’est pas elle-même à l’abri de ses larcins. Prodigue dans la richesse, le lépero n’est pas moins résigné, moins courageux dans la pauvreté. A-t-il gagné le matin de quoi subvenir à peu près à la dépense de la journée, il cesse aussitôt tout travail. Souvent aussi ses ressources précaires viennent à lui manquer. Tranquille alors et sans souci des voleurs, il s’étend, enveloppé de sa couverture déchirée, à l’angle d’un trottoir ou sur le seuil d’une porte. Là, raclant sa jarana (petite mandoline), contemplant avec une sérénité stoïque la pulqueria (cabaret) où le crédit lui est inconnu, il prête une oreille distraite au sifflement de la friture voisine, resserre plus étroitement la corde qui sangle son ventre, déjeune d’un rayon de soleil, soupe d’une cigarette et s’endort sans penser au lendemain.

J’avouerai ma faiblesse : parmi cette foule oisive et bruyante qui m’attirait chaque soir sur la plaza Mayor, mon attention négligeait volontiers l’élite des promeneurs pour s’arrêter sur les groupes déguenillés qui m’offraient une expression à la fois plus triste et plus vraie de la société mexicaine. Je n’avais jamais, par exemple, rencontré un lépero dans tout le pittoresque délabrement de son costume sans me sentir l’envie d’observer de plus près cette classe de bohémiens qui me rappelaient les plus étranges héros des romans picaresques, Il me semblait curieux de comparer ce fils impur des grandes villes aux sauvages aventuriers que j’avais rencontrés dans les bois et les savanes. Pendant les premiers temps de mon séjour à Mexico, je cherchai donc et je réussis, par l’intermédiaire d’un moine franciscain de mes amis, à me faire admettre dans l’honorable intimité d’un lépero de la meilleure souche nommé Perico le Zaragate[1]. Malheureusement nos relations étaient à peine commencées, que j’étais déjà, pour de très bonnes

  1. Zaragate, vaurien de la plus dangereuse espèce.