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seul le disciple qui a coutume de poser la tête sur son sein l’a suivi sans trembler, et il m’a semblé que j’entendais une voix (celle d’un homme ou celle d’un ange, on ne sait) dire lentement, comme si elle s’adressait tout bas au scélérat qui a vendu le Maître : Crime impie ! 0 misérable ! ne crains-tu pas Dieu ?… » Par cette transition fantastique, le messager se lance dans une prosopopée, ou long discours indirect, d’environ soixante-quinze vers. La pendaison de Judas y est prédite ; des morceaux du Credo y sont enchâssés dans des formules du vocabulaire tragique ; on y parle de l’enfer avec des périphrases faites pour le Phlégéton. — Et cependant ce damné pourra être sauvé encore, s’il se repent : — idée remarquable au IVe siècle.

La Mère de Dieu répond, si tant est qu’il y ait à répondre, car ce sont plutôt des monologues qui se succèdent sans s’inquiéter l’un de l’autre qu’un dialogue véritable ; sa réponse n’a pas moins d’une centaine de vers ; elle commence sur un ton parfaitement païen : « O terre, mère de toutes choses, ô voûtes du ciel radieux, quel discours viens-je d’entendre !… » A son tour, elle parle longuement à Judas toujours absent, et maudit sa scélératesse. Entre beaucoup d’autres pièces de rapport qui composent cette mosaïque, on retrouve vers la fin les paroles que prononce Thésée dans Hippolyte :

Quoi ! ne devrait-on pas à des signes certains
Reconnaître le cœur des perfides humains !

Elle veut se rendre auprès de son fils, le chœur la retient : « Ah ! ah ! ah ! ah ! Tais-toi, tais-toi, tu ne pourras plus voir ton fils vivant. -Hélas ! quel nouveau malheur m’annoncent tes larmes ? — Je ne sais, mais voici qui va nous instruire du sort de ton fils. » Survient un troisième messager. — Le procédé est peu varié, et l’auteur ne cherche pas assez à dissimuler qu’au lieu de se passer en action, toute la pièce se passe en récits. Seulement celui-là n’est pas un messager si abstrait que les autres, c’est un aveugle à qui le Christ a rendu la vue. — Le messager : « Ton fils doit mourir en ce jour ; tel est l’arrêt des scribes et des prêtres. » Il raconte l’acharnement des Juifs, semblables, autour de l’accusé, à des chiens furieux ; le juge faible, étonné de ses réponses, et n’osant le déclarer innocent : « Allons, parlez, dit-il au peuple ; faut-il que Jésus meure ou non ? Lequel vaut-il mieux relâcher, lui ou l’un de ces brigands qui sont en prison ? » Ils répondent avec de grands cris que c’est Jésus qui doit mourir en croix, et qu’il faut relâcher le brigand. Le juge essaie de leur persuader le contraire, mais il n’y peut réussir. Voilà le jour qui paraît ; on va traîner l’accusé hors des portes. La Mère de Dieu répond à ce récit par de belles métaphores très déplacées qu’elle aurait dû laisser où elle les a prises ; mais bientôt elle pousse des cris de douleur en apercevant son fils traîné et enchaîné. Elle veut