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Il leur adresse à peu près les mêmes paroles que dans l’Évangile pour exhorter les apôtres à aller prêcher par toute la terre, liant et déliant en son nom. Tout se termine par une longue prière au Christ et à la Vierge.

Tel est ce drame singulier, qui contient quelques passages assez beaux parmi des longueurs infinies. C’est en quelque façon un mystère destiné peut-être à une sorte de demi-représentation, c’est-à-dire de récitation sans mise en scène et sans décors, mais plus vraisemblablement à la lecture seule, dans quelque école chrétienne ou dans quelque cloître ; car, outre cette scène intercalée dans un récit, il faut songer que, sur deux mille six cents vers et plus dont la pièce se compose, et qui à entendre réciter eussent lassé la patience d’un saint, la Mère de Dieu pour sa part en dit mille ou douze cents, qui à réciter eussent lassé les poumons d’un moine. La lecture permet quelques haltes. Maintenant il y a tant de maladresse et quelquefois tant d’inconvenance dans ce centon, sans parler des fautes de métrique, qu’il me paraît difficile de l’imputer à Grégoire de Nazianze, un saint et un littérateur si distingué. Ce qui s’adresse à Vénus dans Euripide, le chœur ici l’adresse à Marie. Cela rappelle cet épisode d’un poème anti-religieux publié à la fin du dernier siècle, dans lequel la vierge Marie s’accommode de la ceinture de Vénus. Vraiment, à qui vient de lire cette tragédie de la Passion du Christ, l’auteur paraît avoir fait la même chose, involontairement, que voulut faire l’empereur Adrien, lorsque pour détruire la religion chrétienne, en profanant les saints lieux où elle a pris naissance, il fit mettre la statue de Jupiter sur le Calvaire, et celle de Vénus à Bethléem. — Ce drame dure trois jours ; le chœur va deux fois se coucher et se relève deux fois. — L’épilogue, que rappelle un peu le prologue d’Esther, mérite attention. Il est conçu en ces termes « Je t’adresse ce drame de vérité, et non de fiction, non souillé de la fange des fables insensées ; reçois-le, toi qui aimes les pieux discours. Maintenant, si tu veux, je prendrai le ton de Lycophron (esprit de loup), reconnu dorénavant pour avoir en vérité l’esprit de l’agneau[1], et je chanterai dans son style la plupart des autres vérités que tu veux apprendre de moi. » L’auteur chrétien, après avoir fait un centon d’Euripide, offre de faire encore sur un sujet sacré un centon de Lycophron. On croit cependant que cet épilogue est de Tzetzès, célèbre grammairien et mauvais poète de Constantinople, à la fin du XIIe siècle.

Sur les trois autres morceaux dramatiques qui se trouvent réunis à celui-là avec les fragmens des petits tragiques dans le dernier volume de la Bibliothèque grecque, quelques mots suffiront. Le premier est d’une

  1. Nous avons mis l’esprit de l’agneau au lieu de l’esprit de douceur, pour rendre le jeu de mots entre (2 mots grecs), qui sans cela est intraduisible en français.