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tempête sur Cuba et compléter au-delà de l’Atlantique le naufrage de la puissance espagnole. Quel gouverneur eût osé prendre vis-à-vis de la métropole la responsabilité d’une pareille catastrophe ?

Ce n’était là cependant qu’un régime provisoire, et les affaires s’en ressentaient. Il fallait que la sanction de la loi vînt consolider un ordre de choses que les circonstances seules avaient établi, mais que les circonstances aussi pouvaient détruire. Ce n’était pas chose facile à obtenir que la consécration légale du principe de la liberté commerciale. La prospérité de Cuba n’avait pas affaire à de médiocres ennemis. Il lui fallait vaincre l’entêtement d’une monarchie d’autant plus jalouse de son autorité absolue, qu’elle était de toutes parts aux prises avec la révolte et l’insurrection ; il lui fallait triompher de préjugés que les provinces lointaines devaient trouver d’autant plus tenaces, que les provinces placées au cœur même de l’Espagne les avaient plus ouvertement, plus vigoureusement bravés. Ici encore, les événemens vinrent à propos servir les Cabanes. Le parti libéral, sorti victorieux de l’invasion, se relevait en Espagne. Ferdinand VII avait été obligé d’accepter la constitution de 1812, et les colonies assimilées, quant au droit de représentation, aux provinces continentales, venaient d’être invitées à envoyer des députés aux cortès. La Havane se fit représenter par don Francisco Arango, homme de cœur et d’intelligence, observateur profond, à qui l’expérience avait tenu lieu d’étude, et dont la science positive se fondait sur des faits et sur des chiffres bien plus encore que sur des théories.

Le nouveau député vint à Madrid plein de confiance dans ces doctrines de la liberté du commerce auxquelles Cuba devait sa prospérité, et qu’il se plaisait à résumer en quelques mots significatifs : « Quatre-vingt-seize mille habitans en deux cent soixante-trois ans, — cent cinquante mille en vingt-quatre ! » Il s’occupa, dès son arrivée, d’agir directement sur l’esprit du roi. Du premier coup d’œil, il comprit que, dans des temps de troubles, où les finances ne fonctionnent que très imparfaitement, il faut moins s’appliquer à agir sur les opinions que sur les intérêts. Par des sacrifices opportuns, faits tant de ses deniers que de ceux de l’île, il sut gagner l’affection du roi, et finit par obtenir de la reconnaissance ce qu’il n’aurait jamais arraché des convictions. Grace au désintéressement du député cubane, en 1818, un décret royal abolit pour l’île de Cuba le système restrictif. Le droit ancien fut abrogé quant au commerce. Cuba avait désormais sa charte comme l’Espagne : seulement la constitution espagnole était politique et révocable ; la charte cubane, tout entière commerciale, était moins sujette aux révolutions. Aussi, dès 1823, la Péninsule, après n’avoir recueilli du régime constitutionnel que des troubles et des désordres, retombait-elle